La dame de Shanghai

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Joan Chen poursuit, depuis bientôt 40 ans, une carrière exemplaire entre Orient et Occident.

Joan Chen avait un peu plus de 25 ans lorsque le public occidental la découvrit, en 1987, dans Le Dernier Empereur de Bernardo Bertolucci, où, sous les traits de l’impératrice Wan Jung, elle contribuait à l’éveil sensuel du jeune Pu-Yi, monarque absolu bientôt rattrapé par les soubresauts de l’Histoire. Un film à l’éclat intact, comme le rappela une séance spéciale du festival de Macao. Et un rôle emblématique; à la mesure de celle qui, plus qu’une comédienne, apparaît comme une icône, ayant montré la voie à d’autres actrices asiatiques s’étant multipliées des deux côtés du Pacifique, les Michelle Yeoh, Gong Li ou autre Zhang Ziyi, pour n’en citer que quelques-unes.

Le Dernier Empereur
Le Dernier Empereur

Le bouquet de Cimino

Ayant grandi et étudié à Shanghai avant d’obtenir la reconnaissance du public chinois à la faveur de Little Flower, à la fin des années 70, Joan Chen décide dans la foulée de tenter l’aventure américaine. Si la télévision lui tend les bras -elle multiplie les apparitions dans Mike Hammer, Miami Vice ou MacGyver-, le cinéma se fait par contre prier. Et elle n’a rien oublié de ses auditions ratées pour Year of the Dragon de Michael Cimino. « J’étais aux États-Unis depuis un an ou deux lorsque j’ai appris qu’il y avait un premier rôle pour une actrice chinoise, celui d’une présentatrice de télévision. Je tenais à tenter ma chance, même si, à l’époque, je parlais avec un accent, peu compatible avec sa profession. J’ai donc engagé un coach, et j’ai tout fait pour obtenir le rôle, jusqu’à un ultime screen-test avec Mickey Rourke. Je n’ai pas été retenue -rétrospectivement, il est clair que je n’étais pas faite pour cet emploi- et Michael Cimino m’a envoyé un énorme bouquet de fleurs, avec un mot me disant que s’il n’avait pas pu faire appel à moi, il m’avait par contre énormément appréciée. J’en ai eu le coeur brisé, d’autant plus que j’avais consacré à mes répétitions avec ce coach tout l’argent gagné en travaillant pour cinq dollars de l’heure dans un restaurant. En pure perte… »

Voire: si le rôle tant convoité de Tracy Tzu ira finalement à Ariane, comédienne à l’éphémère carrière, Joanna Merlin la directrice de casting, n’oubliera pas l’impression que lui avait laissée Joan Chen au moment d’arrêter la distribution du Dernier Empereur. Avec les conséquences que l’on sait. Et à 30 ans de distance, c’est toujours avec une même passion que la comédienne évoque son expérience dans la Cité interdite: « John Lone, Vivian Wu et moi, nous étions comme de jeunes enfants dans une confiserie, tant nous étions excités de prendre part à ce projet. J’ai participé à cinq des sept mois de tournage, et c’était comme un long apprentissage: Bernardo, Vittorio Storaro, le directeur de la photographie, James Acheson, le responsable des costumes, étaient juste merveilleux à observer. J’étais une jeune femme de nature plutôt distraite, et jusque-là, je n’avais jamais vraiment fait attention à ce qui se passait sur les plateaux de tournage. Mais ce film a capté mon attention plus que tout autre. Voir tout ce monde travailler a constitué une expérience unique. »

Twin Peaks
Twin Peaks

À la croisée des cultures

Si The Last Emperor lui apporte une première consécration internationale, Joan Chen se verra par la suite trop souvent cantonnée à des rôles stéréotypés: « Après ce film, je n’ai guère eu de propositions intéressantes, je n’étais qu’une fille chinoise, une fleur exotique, d’où le type d’emplois dans lesquels on a pu me voir. » On la retrouvera par exemple dans les dispensables On Deadly Ground de Steven Seagal, Judge Dredd de Danny Cannon ou encore aux côtés de Christophe Lambert dans The Hunted. Pas une fatalité, cependant, et David Lynch lui confiera le rôle de Jocelyn Packard dans la série Twin Peaks, Oliver Stone faisant pour sa part appel à ses talents pour Heaven & Earth. Sans même compter ses fréquents allers et retours vers l’Orient qui la conduiront devant la caméra de Stanley Kwan (Red Rose, White Rose), Ang Lee (Lust, Caution) ou Jia Zhang Ke (24 City), parmi d’autres. Entre-temps, la comédienne s’est aussi risquée à la mise en scène, tournant son premier long métrage en Chine, en 1998, Xiu Xiu, The Sent Down Girl -« Je me suis lancée avec l’innocence des débutants, sans peur et sans réfléchir »-, avant de renouveler l’expérience deux ans plus tard aux États-Unis pour Autumn in New York, réunissant Richard Gere et Winona Ryder. Pour l’heure, elle met la dernière main à une adaptation de English, roman de Wang Gang ayant rencontré un important succès en Chine. Il y est question, au lendemain de la visite de Richard Nixon dans l’empire du Milieu, en 1972, d’un professeur de Shanghai se rendant dans la région de Xinjiang pour y enseigner l’anglais. Et qui, avec la langue, va introduire une sensibilité et une mentalité différentes, ayant le don d’ouvrir les yeux des enfants. À la croisée des cultures, donc, la place lui seyant définitivement le mieux…

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