L’éternel retour

Phantom of the Paradise

Phantom of the Paradise et Raising Cain du grand cinéaste américain Brian de Palma reviennent en coffrets superbes autant que passionnants!

Les hasards de l’édition font parfois bien les choses. Portées par l’intérêt soutenu que capte toujours Brian De Palma chez nos voisins plus que nulle part ailleurs, deux sociétés françaises font paraître simultanément autant de coffrets consacrés au grand cinéaste américain. Carlotta propose une admirable et très complète édition de Phantom of the Paradise en Blu-ray + double DVD. Elephant inversant l’offre (2 Blu-ray discs + 1 DVD) pour celle -moins étoffée- de L’Esprit de Caïn (Raising Cain). Une oeuvre précoce et culte mais restée en partie incomprise de 1974, et un film de maturité, tragiquement mésestimé, de 1992. Dans un cas comme dans l’autre, ces coffrets ne relèvent pas simplement d’une démarche cinéphile. Ils portent en eux une claire volonté de témoignage et d’admiration, érigeant De Palma en artiste auquel justice se doit toujours et encore d’être faite.

Personnels et radicaux

Réalisé deux ans avant le premier de ses grands succès américains et internationaux, Carrie, Phantom of the Paradise transpose très librement le mythe de Faust et le roman de Gaston Leroux Le Fantôme de l’Opéra à l’univers du rock’n’roll. Tourné cinq ans après The Untouchables et quatre avant Mission: Impossible (ses deux triomphes commerciaux), Raising Cain évoque le thème des personnalités multiples à travers un thriller intimiste. Très différents de forme comme de sujet, les deux films offrent au regard rétrospectif plusieurs similitudes qui rendent leur réapparition simultanée encore plus intéressante. Ce sont deux satires (du show-business pour l’un, d’une masculinité menacée pour l’autre), osant des ruptures de ton drastiques, funambulesques, et l’ironie propre à De Palma y circule avec une force particulière, aux limites parfois de l’autodestruction. Phantom of the Paradise et Raising Cain expriment aussi, chacun à sa manière et avec un bonheur inégal, le goût du cinéaste pour l’expérimentation, aux limites du rationnel parfois, de l’obsessionnel souvent (la figure du travesti, entre autres), et donnant au style un rôle moteur, jusqu’à l’extrême. À l’époque du premier film, et sur les brisées d’un Sisters aussi troublant que globalement mal reçu, De Palma se bâtit un monde clos pour affirmer sa force, sa maîtrise, son audace, sa singularité. À celle du second, marqué par l’échec de The Bonfire of the Vanities, il semble trouver refuge dans une nouvelle bulle obéissant aux seules lois de son art, une bulle où il se refera une santé face à une prévisible adversité critique, et dont il sortira plus fort encore pour entreprendre sa dernière série de succès (Carlito’s Way; Mission: Impossible; Snake Eyes; Mission to Mars). Phantom et Cain pouvant dès lors être (re)vus comme deux des créations les plus personnelles, les plus radicales aussi, de leur réalisateur.

Justice est faite

Le coffret de Phantom of the Paradise est, comme toujours chez Carlotta, un modèle d’édition digitale offrant un matériau très complet dans un emballage raffiné. Le boîtier chamarré révèle un album de 158 pages richement illustré, dans lequel sont insérés les deux DVD et le disque Blu-ray. Cette édition limitée de 3000 exemplaires numérotés est un « collector » assuré, l’objet culte que méritait un film culte par excellence. L’émotion est grande, à retrouver Winslow Leach (1), compositeur aussi naïf que talentueux et dont le maléfique Swan (Paul Williams, également créateur des chansons du film) vole la musique et l’expédie en prison avant qu’une évasion et un accident fassent de lui un monstre défiguré, qui voudra sa revanche. Le thème du pouvoir qui corrompt, et auquel s’oppose la pureté de l’artiste, n’est pas rare chez De Palma. Il s’incarne ici dans un conte musical noir oscillant entre humour fou et sombre poésie romantique, intégrant au passage les mythes fantastiques non seulement de Faust mais aussi de Frankenstein, de Dorian Gray et du Docteur Caligari. La réalisation est brillantissime, cite au passage le Fritz Lang de Mabuse et -inévitablement- Alfred Hitchcock. Répondant par un pied de nez aux critiques l’accusant de plagier le maître, De Palma signe un détournement hilarant de la scène de la douche de Psycho où le couteau est remplacé par… À vous de découvrir par quoi! Les passionnants suppléments du coffret évoquent entre autre les problèmes rencontrés par un Phantom attaqué en justice par Universal (d’où un changement de titre) et l’autre procès, venant du manager de Led Zeppelin et propriétaire du label Swan Song, qui força De Palma a masquer acrobatiquement dans son film cette appellation qu’il avait choisie pour la société de Swan!

De Raising Cain, nous pouvons revoir la version sortie en salles, assez confuse et surtout non conforme au projet d’origine du cinéaste. Nous pouvons surtout découvrir un « director’s cut » en réalité donné par un réalisateur néerlandais, Peet Gelderblom, qui s’est basé sur le script original et dont l’excellent travail a été approuvé par De Palma. Un montage qui change la perspective, la féminise et la clarifie, opérant une véritable résurrection d’un film certes toujours outrancier mais qui tient bien mieux la distance. Justice est ainsi rendue à l’auteur du sublime Obession, qui suivra de près Phantom en rendant hommage au chef-d’oeuvre de Hitchcock Vertigo. Éternel retour et transfiguration allant décidément si bien au brillant Brian…

(1) JOUÉ PAR WILLIAM FINLEY, AMI ET ACTEUR FÉTICHE DES PREMIERS FILMS DE BRIAN DE PALMA.

Texte Louis Danvers

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