L’art de la dédicace

Un universitaire suisse s’est penché sur cet « art au seuil du 9e art » qu’est la dédicace en bande dessinée. Un essai un peu rêche, mais le premier du genre.

Tout amateur, même pas éclairé, en a au moins une dans sa bédéthèque: un souvenir d’enfance récolté à la fin d’un petit festival de quartier, un bout de nappe arraché à son idole qui gribouillait à la table d’à côté, un grand et beau dessin original directement commandé (et payé) à l’auteur, un crobard un peu vite torché obtenu après deux heures de file, voire un simple coup de tampon juste additionné de votre prénom… Mais qui fait de votre album un objet désormais unique. Tout le monde ou presque possède une dédicace dans ses albums de BD. Mais pas un livre ne s’était penché jusqu’ici sur ce phénomène, alors qu’il occupe les pensées et les week-ends de nombre d’auteurs, souvent las du principe. Une incongruité désormais réparée par l’universitaire suisse Jean Rime, à la fois gros lecteur et spécialiste de l’Histoire de la culture médiatique, qui fait un tour quasiment exhaustif de la question et du petit dessin dédicacé, non sans emphase:  » La « bédédicace » recèle la beauté paradoxale d’un art minuscule où le jaillissement du trait -son imperfection parfois- ressuscite une esthétique vivifiante de l’impromptu. »

L'art de la dédicace

Statut ambigu

Née en même temps que la bande dessinée -l’auteur a retrouvé un « album autographié » de Rodolph Töpffer en 1839-, la dédicace a suivi toutes les évolutions du milieu BD: l’émergence de l’album face aux périodiques, la légitimation de la figure de l’auteur et l’apparition des festivals, il y a un demi-siècle, ont ainsi fait de ce don désintéressé une sorte d’obligation morale et gratuite dont les auteurs ont dû longtemps s’acquitter sans rechigner. L’essor des réseaux sociaux, avec son lot de dédicaces revendues presque aussi vite qu’elles n’ont été réalisées, la multiplication de faux plus grotesques les uns que les autres, sans compter le statut même de l’auteur, désormais en crise, mettent aujourd’hui à mal ce rapport intime entre l’auteur et ses lecteurs. Certains « bâclent » leurs crobards pour ne pas les confondre avec des commissions payées, d’autres en modulent la qualité en fonction des événements, d’autres comme Geluck, Midam ou les auteurs du dernier Blake et Mortimer par exemple, recourent désormais au cachet pour satisfaire tout le monde, à défaut de n’en émerveiller que quelques-uns. Un statut de la dédicace parfois ambigu, symptôme des bouleversements actuels de la bande dessinée, qui continue d’en faire un « objet culturel non-identifié » dont on ne sait toujours pas s’il faut l’intégrer pleinement à l’oeuvre d’un artiste, ou la reléguer, tels des « roughs », essais ou crayonnés, aux oubliettes de son Histoire. Ce Bédédicaces donne en tout cas la possibilité d’y réfléchir, tout en se penchant sur quelques exemples fameux, de Hergé à Franquin.

« Bédédicaces »

De Jean Rime, éditions Montsalvens, 320 pages.

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