L’acte de foi de Cédric Kahn

L'acteur Anthony Bajon avec Cédric Kahn. © Carole Bethuel/Les films du Worso
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Dans La Prière, le réalisateur de Roberto Succo accompagne un jeune toxicomane débarquant au sein d’une communauté isolée dans la montagne pour tenter de décrocher par le travail, la prière et l’amitié. Fort.

Quatre ans après Vie sauvage, qui accompagnait une famille tentant le pari de la vie en marge de la société, La Prière, le nouvel opus de Cédric Kahn, fait également le choix de se situer en retrait du monde. À savoir, en l’occurrence, au sein d’une petite communauté isolée dans la montagne -le plateau de Trièves, en Isère, prête son décor, immaculé, au film-, où des toxicomanes tentent de se soigner par le labeur et la prière. Un prisme ne devant bien sûr rien au hasard: « Souvent, mes personnages sont à la recherche d’une forme de désaliénation », pose le réalisateur, et c’est là le lot de Thomas, découvrant ce cadre strict régi par une discipline spartiate dans une tentative de décrocher, trajectoire individuelle au coeur d’un film choral.

Trois rencontres sont à l’origine de ce projet éminemment singulier: Aude Walker, une écrivain qui préparait un livre sur les expériences religieuses avec d’anciens drogués; les scénaristes Fanny Burdino et Samuel Doux, ensuite, qui aideront le cinéaste à décanter le propos; la productrice Sylvie Pialat, enfin, qui lui laissera les coudées franches pour s’atteler au film sans acteurs connus, manière de renouer avec l’esprit de ses débuts. À quoi s’ajoutera « un mélange de désir, d’intuition, l’impression d’avoir une proximité avec un sujet. Même s’il n’y a rien de personnel, je ne peux pas le justifier par l’autobiographie, n’étant ni croyant, ni toxicomane. » Est-ce l’effet de cette distance? Toujours est-il que le script de La Prière ne s’est pas écrit sans mal, Cédric Kahn planchant sur une première version il y a quatre ou cinq ans, en pure perte, confesse-t-il. « Le scénario était beaucoup plus classique, on racontait l’avant et on voyait d’où venait Thomas, mais cela ne marchait pas du tout. Le projet a fonctionné à partir du moment où on a mis la thérapie et la prière au centre du récit. Ce processus s’est déroulé par étapes: on s’est dit que le film devait commencer quand il arrive, et se terminer quand il part, comme dans un western. Et on s’est rendu compte que la situation était tellement forte, simple et lisible, qu’elle se suffisait à elle-même: plus on en racontait, plus elle s’affaiblissait. L’histoire d’un gars qui arrive en disant: « J’ai failli mourir, et j’ai envie de vivre » , il n’y a pas plus fort comme enjeu. »

Avant la drogue

Si l’histoire de Thomas tient lieu de fil conducteur au récit, celui-ci se déploie aussi dans les parcours de ceux qui le côtoient. Pour nourrir le propos, le réalisateur et ses deux coscénaristes ont vécu dans des communautés semblables à celle du film, à l’égard desquelles le cinéaste entretient un certain flou, respectant leur légitime souci de discrétion. Non sans préciser que, si elles sont tournées vers la prière, il ne s’agit nullement de communautés religieuses – « elles sont tenues par d’anciens toxicomanes, ils sont tous dans la même histoire. » De cette immersion a découlé le sentiment de vérité émanant de La Prière: « Le scénario s’est vraiment incarné à partir de là, explique-t-il. Les récits des autres protagonistes ne sont absolument pas inventés, nous avons écrit sur base des témoignages et des jeunes gens que nous avons rencontrés. Le film est très documenté. » Puisque multiplicité d’expériences il y avait, La Prière tient aussi du portrait de groupe, le casting ayant d’ailleurs été conduit en ce sens, de l’ensemble émergeant la figure d’Anthony Bajon, appelé à tenir le rôle central du film. « Le casting s’est avéré à la fois compliqué et passionnant, parce que nous voulions des gens de toutes origines ethniques et sociales, de langues et de pays différents, et nous tenions à ce que l’histoire se raconte aussi sur les visages, sachant qu’ils n’auraient pas tous un temps de parole à l’image. Il fallait que les visages racontent l’avant-prière, la drogue et même avant la drogue. »

L'acte de foi de Cédric Kahn
© DR

Manière aussi d’induire que la blessure est souvent antérieure à l’addiction, remontant le plus souvent à l’enfance. Un constat que souligne une scène pivot, incarnée par Hannah Schygulla, figure illustre dans une distribution plutôt anonyme – « j’ai dit aux gamins de la regarder comme si c’était Beyoncé qui arrivait »-, invitant Thomas, geste fort à l’appui, à se reconnecter à l’enfant qu’il était. « Ce que j’essaie de raconter dans le film, c’est qu’il s’agit d’enfances qui se réparent », martèle Cédric Kahn. Et le parcours du jeune homme est avant tout une reconstruction, intégrant en cela une dynamique irriguant la filmographie de l’auteur d’ Une vie meilleure. « Pour moi, un film doit prendre en charge la transformation du personnage. On me propose souvent des projets de série, et je n’arrive pas du tout à m’y projeter, parce que j’y vois un système de scénario en boucle. La série est, à mes yeux, un bateau qui revient toujours au port. Alors que moi, ce qui m’intéresse dans la fiction, c’est la traversée du personnage. »

Le miracle du cinéma

Que celle-ci prenne, dans le cas présent, la forme d’une rencontre avec le divin n’est, à l’en croire, pas l’objet premier du film. « Pour dire les choses clairement, je n’ai pas du tout voulu faire un film sur la religion, ce n’est pas le sujet. La prière est une notion qui se situe pour moi au-delà de la religion, c’est une espérance, je trouve ce mot magnifique. Cela constitue leur programme, et je n’ai pas hésité pour le titre, même si je me rends compte qu’il peut en faire reculer certains. Mais pour moi, ce qui sauve ces jeunes gens, c’est le groupe, la reconstruction du lien. Dans la toxicomanie, il n’y a plus de parole, plus de lien, plus de reconnaissance de l’autre, ce sont des gens qui viennent d’une extrême solitude. Le fait de reconnaître l’autre et d’être reconnu par lui est essentiel. » Et d’enfoncer le clou, relativisant la teneur métaphysique du propos: « Je reste au niveau du personnage, et c’est son miracle à lui. Après, la force du cinéma fait que tout prend une dimension plus universelle. Ils racontent tous leur histoire, à la fois incroyable et complètement croyable, mais pour chacun d’entre eux, elle est miraculeuse. Thomas a besoin de se raconter cette histoire-là, et il prie, il prie, il prie, ce qui l’emmène sur le chemin de sa rencontre avec Dieu, mais ce n’est pas ce qui le sauve. Je ne crois pas que le propos du film soit du côté de l’irrationnel. »

Ce qui n’empêche pas La Prière d’atteindre à une forme de transcendance, en quoi l’on verra aussi… le miracle du cinéma. Il ne faut d’ailleurs guère forcer Cédric Kahn pour qu’il adopte un vocabulaire à résonance spirituelle, évoquant les bienfaits d’une nature miraculeuse, elle aussi, et abordant chaque film comme un acte de foi: « Pour moi, la foi est vitale et elle se trouve en toutes choses. Si vous pensez à notre existence, on ne peut vivre sans elle, il faut bien avoir foi en quelque chose: en l’homme, en l’histoire d’amour que l’on est en train de vivre… Moi, j’ai foi en moi comme cinéaste, par exemple. Faire des films est compliqué, il y a plein de moments où l’on s’expose, et c’est assez violent. Je ne pourrais pas faire du cinéma depuis 25 ans si je n’avais pas la foi… »

Cédric Kahn en quatre films

L’Ennui (1998)

Six ans après Bar des rails, le long métrage de ses débuts, Cédric Kahn adapte Alberto Moravia dans L’Ennui. Un prof de philo blasé (Charles Berling) y fait la connaissance d’une jeune fille ayant un rapport décomplexé à la chair (Sophie Guillemin), début d’une relation passionnée qui va bientôt virer à l’obsession destructrice, sous le regard las de son ancienne compagne (Arielle Dombasle). Soit le récit d’une addiction, au sexe celle-ci, pour un film au parfum de désenchantement, prix Louis Delluc.

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Roberto Succo (2001)

Cédric Kahn s’inspire d’un fait divers ayant défrayé la chronique italienne dans Roberto Succo, du nom d’un assassin échappé d’une institution psychiatrique, et adoptant une identité d’emprunt pour gagner la France, où il entamera une liaison avec une lycéenne. Stefano Casseti, exalté, et Isild Le Besco, inconsciente, campent les amants au coeur de ce film hybride combinant biographie, polar et histoire d’amour avec une réussite relative. Non sans inscrire le cinéma de son auteur à la marge…

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Les Regrets (2009)

De retour dans la petite ville de son enfance où sa mère a été hospitalisée d’urgence, Mathieu (Yvan Attal), un architecte, y croise fortuitement son amour de jeunesse, Maya (Valeria Bruni Tedeschi). Et le passé de refluer et, avec lui, la passion et les regrets. Le canevas est classique, et la recette plus qu’éprouvée. Mais si on n’attendait pas Cédric Kahn du côté du film sentimental, le réalisateur s’en tire avec les honneurs, donnant du souffle à cette histoire, tout en y imprimant son lot de tension.

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Vie sauvage (2014)

À l’instar de ceux de La Prière, les protagonistes de Vie sauvage vivent en retrait du monde. Soit un couple (Matthieu Kassovitz et Céline Sallette, vrais) ayant choisi d’élever ses enfants en marge de la société, mais qui va se déchirer, le père entraînant deux des enfants dans une cavale en forme de retour à la nature et à la liberté. Inspiré de l’affaire Fortin, le film tient du récit d’une utopie. Il vibre aussi de l’empathie du réalisateur pour ses personnages, pour s’ériger en réussite majeure.

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