Klaus Johann Grobe: quand les germanophones chauffent le dancefloor

"Nos chansons, tu peux danser dessus mais tu n'y es pas obligé, assure Sevi Landolt (à droite). Tu peux aussi t'asseoir dans ton salon et juste prendre du plaisir à les écouter." © RALPH KUEHNE
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Duo disco pop kraut venu de Suisse alémanique, Klaus Johann Grobe fait depuis sept ans danser en allemand. Könige der tanzfläche.

Ils sont signés sur le label américain Trouble In Mind, ont ouvert pour Moon Duo et The Growlers, et ont joué partout dans le monde jusque dans le décor industriel de la Liverpool Psych Fest. Emmené par Sevi Landolt et Dani Bachmann, le duo suisse Klaus Johann Grobe fait depuis trois albums danser le germanique et se déhancher sur la langue de Goethe. Entre pop électronique, kraut groovy et disco cosmique, le groupe de Zurich n’a pas pris d’assaut les boîtes de nuit, mais il a permis à des lieux de musique plutôt dédiés au rock underground de retrouver leur penchant pour le dancefloor (le tanzfläche). Cet automne, KJG a sorti son troisième disque: Du bist so symmetrisch. « On a passé un an sans donner de concerts et sans vraiment écrire de morceaux, avoue Sevi. On en avait besoin. Ça faisait quatre longues années qu’on arpentait les routes. Après, on s’est réunis pour voir si on était prêts à relancer la machine ou si au contraire il fallait tout arrêter. Et on a commencé à travailler sur un nouveau disque. Ça a été un autre flow dans le travail que de coutume. On a bossé dès le début avec un disque en tête alors qu’avant, on écrivait des chansons et on les rassemblait pour monter un album. Au moment d’entrer en studio, on savait exactement comment il devait sonner. Ce n’est pas très romantique. »

Rigueur germanique? Sérieux teuton? « L’écriture a été un peu compliquée. Mais pour la première fois, on s’est retrouvés avec assez de matériel pour pouvoir choisir ce qu’on mettrait sur le disque. On a écouté beaucoup de musique pendant ce break et on a voulu utiliser différents instruments. Mais c’est surtout un son qu’on avait à l’esprit. Quelque chose de plus moderne. De sec, d’entraînant, de dansant… Ça s’entend, je pense, dans la basse. Un côté plutôt contemporain. On a fabriqué les chansons autour de ces principes. Il n’y a pas d’orgue sur le disque par exemple. On a décidé en le finissant qu’on voulait d’avantage de synthés analogiques. On l’a appelé notre « album R’n’B ». Ce n’est pas un disque R’n’B bien sûr, mais c’est le genre de production qui nous a influencés. C’est un album plus produit. La relation entre la batterie, la basse et le chanter faux. Nous, on le qualifie de « bouncy ». C’est encore métronomique mais plus autant qu’avant. »

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Depuis qu’ils ont pris ce repos tant mérité, Landolt et Bachmann ont écouté un mix assez sauvage et varié. Un tas de trucs psychédéliques et prog. Mais aussi de la pop cheesy des années 80 qu’ils ont toujours eue en affection. Les deux Suisses adorent le dernier Unknown Mortal Orchestra. Aiment beaucoup Anderson. Paak ou encore le groupe Soft Hair de Connan Mockasin. « Des projets récents qui, pour une raison ou une autre, sonnent vraiment de façon unique dans des styles qui existaient déjà. »

Complexe

Il y a définitivement de ça chez Klaus Johann Grobe. Ce côté incongruité pop, bizarrerie dans le familier, singularité dans le déjà-vu. La faute sans doute à cet allemand dans lequel le tandem de petits Suisses, alliage de la chimie zurichoise et bâloise, a toujours chanté. Cette caractéristique a dans un premier temps déconcerté. « Quand on a commencé il y a sept ans, les gens étaient vraiment chiffonnés. C’était bizarre. On le sentait. D’ailleurs, ils venaient nous voir après les concerts: « c’est génial mais pourquoi est-ce que vous chantez en allemand? On n’aime pas trop ça. » Heureusement, les choses ont changé. Ce qui est marrant dans toute cette histoire, c’est qu’on ne nous en parlait jamais en dehors de la Suisse. Même quand on jouait en Angleterre ou aux États-Unis où personne ne comprenait ce qu’on racontait. Au contraire, ça leur semblait logique. On chantait dans notre langue maternelle. »

De l’aveu de Sevi, bookeur dans la vie de tous les jours, très peu de groupes en Suisse chantent en allemand. « Et quand c’est le cas, ils utilisent un dialecte très marqué. Même les rappeurs. » L’historien de Bâle Thomas Maissen, qui dirige l’institut historique allemand à Paris, laissait entrevoir des éléments d’explication dans une interview donnée au journal Le Temps avant les dernières élections fédérales allemandes. « Pour les Alémaniques, disait-il, le rapport avec l’Allemagne relève d’un enjeu identitaire majeur. Le fait d’être suisse allemand consiste essentiellement à ne pas être allemand. La Suisse alémanique est germanophone, de nombreux jeunes partent étudier en Allemagne, on regarde la télévision allemande: les rapports sont intenses. Mais en même temps, il y a une volonté très forte de se distinguer. » Il y parlait même d’une infériorité linguistique réelle due à des choix volontaires. « Les Alémaniques se réfugient dès qu’ils peuvent dans leur schwyzerdtüsch confortable et évitent de bien parler la langue qu’ils écrivent, même les universitaires. Souvent, ils compensent ce sentiment d’infériorité par des reproches politiques et identitaires du genre: oui, nous ne parlons pas bien allemand, mais votre esprit servile ignore ce que sont la liberté et la démocratie. » La crainte d’une Allemagne capable d’avaler la Suisse, qui remonte au IIIe Reich, blessure mentale et identitaire, n’aurait selon lui jamais vraiment cicatrisé…

« L’allemand a pour moi un effet intellectuel expérimental cool », estime Sevi Landolt (à gauche).© MANU MEYER

D’après Sevi, il y a différents points à considérer pour comprendre pourquoi de manière générale si peu de groupes chantent en allemand ou en suisse allemand. « Quand c’est le cas, ton premier public comprend tout ce que tu racontes et beaucoup d’artistes ne se sentent pas à l’aise avec ça. Ils aiment avoir une certaine distance avec leurs paroles. C’est différent en France et en Espagne, qui ont toujours eu des scènes musicales nationales fortes dans leur langue maternelle. On n’a jamais vraiment connu ça en Allemagne ou en Suisse. Donc quand tu penses à faire de la musique, à chanter, tu te diriges automatiquement vers l’anglais. Par ailleurs, la plupart des groupes regardent vers l’étranger. Et toute la musique d’aujourd’hui, du moins une grande partie, est enracinée dans la pop anglophone de la fin des années 60. Ça vient de là, je pense. C’est si fortement interconnecté. Prends une guitare électrique, une basse et une voix, tu associes ça directement à l’anglais. Si tu entends que ça vient d’un autre coin du monde, ça te dérange moins. Si ça sonne africain, c’est normal que tu entendes une autre langue… Mais tu dois être très à l’aise avec ce que tu fais pour te mettre à chanter en allemand. »

Freakbeat et nouvelle vague

L’allemand, langue dansante de la pop et du rock? La question peut prêter à sourire quand on imagine des soirées Oberbayern et des hommes en culottes courtes entrechoquer leurs chopes. Seva, qui joue à l’occasion les DJ’s (il a un faible pour le boogie eighties et la disco de la fin des années 70), met l’accent sur la Neue Deutsche Welle. La nouvelle vague musicale teutonne. Un courant né dans les années 80 du post-punk et de la new wave. Étiquette à laquelle on associe D.A.F., Grauzone ou encore Die Krupps (lire aussi ci-dessous)… « Il y a des moments super funky dans son Histoire. On aime beaucoup l’album de Joachim Witt Edelweiss, qui possède de chouettes chansons dansantes, et le disque Schrille Blitze de Konec. Au delà de la Neue Deutsche Welle, il y aussi pas mal de freakbeat bizarre des années 60, mais c’est pour un autre type de dancefloor. Je pense à Susan Avilés. Le morceau Eine Schöne Welt par exemple. Ou à un truc marrant comme Du Hast Mich d’Howard Carpendale. On est par contre moins familiers de la dance music moderne. Je ne vais pas spécialement dans les clubs quand je ne mixe pas. Je préfère les concerts. Je ne sais pas si c’est une question d’âge ou de personnalité. Pour moi, c’est difficile d’arriver quelque part avec l’humeur dansante. Je trouve que la danse doit arriver d’elle-même. Tu dois la laisser venir à toi et pas la forcer. »

Ce rapport naturel à la musique, Klaus Johann Grobe l’entretient aussi dans la création. Les Suisses n’ont jamais voulu faire de la dance music. « Quand on écrit une chanson, au début, elle n’a d’ailleurs souvent rien de dansant. » Quant à l’utilisation de l’allemand, elle n’avait, elle, rien de prémédité. « On avait joué dans d’autres groupes auparavant. Et quand il y avait des paroles, c’était toujours en anglais. J’ai enregistré les démos du premier EP sans y penser. Puis je me suis dit que ça collerait parfaitement. Même si je m’imaginais que Dani, en Syrie à l’époque, détesterait… »

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Sevi sait quand même en épingler les vertus. Au-delà de la proximité, synonyme de subtilité et de nuance, de quoi faciliter l’utilisation de l’humour et de l’ironie, il lui perçoit des atouts sonores. « C’est une langue très intéressante. Elle peut être dure. Tak, tak, tak… Tu peux quasiment l’utiliser comme une percussion. Parce qu’elle a ce genre de sons si tu le veux. Mais tu peux aussi l’utiliser de manière smoothy si tu utilises les bons termes, si tu préfères des mots longs à des mots courts. L’allemand possède beaucoup de vocabulaire pour tout. Tu peux tout dire en un clin d’oeil ou en une minute mais toujours en une seule phrase (rires ). Ça te laisse énormément de liberté sur la manière d’exprimer les choses.« 

L’allemand a par ailleurs selon lui une façon particulière de résonner. Un écho à la fois musical et historique. Il prend l’exemple du groupe de Geoff Barrow, Beak>, qui y recourt avec parcimonie. « Il a toujours ce charme de l’expérimentation des années 70. Dès que tu utilises l’allemand dans un groupe qui ne fait pas de la pop commerciale, tu le ressens. Il confère à la musique une personnalité forte quasi immédiatement. Ça te rappelle le kraut de Kraftwerk en un instant. Ou peut-être Nico, qui pourtant chantait en anglais. C’est une espèce de machine à flash-back. Ça peut être perçu de manière positive ou négative. Ça dépend de comment tu joues avec tout ça. C’est spécial. Même si chaque langue a, j’imagine, l’une ou l’autre de ces connexions. »

Des connexions culturelles, sociales, politiques… « L’allemand a pour moi un effet intellectuel expérimental cool. Il fascine les auditeurs, je pense. Des morceaux très influents musicalement parlant utilisaient l’allemand et ils se promènent encore dans l’oreille des gens. Imagine Rammstein en anglais… Ce serait bien moins intéressant. Tu associes tellement de choses à cette langue. Même des événements terribles comme la Seconde Guerre mondiale et les discours d’Hitler par exemple. Cette voix si particulière, datée, avec l’equalizer programmé de manière si bizarre que ça te blessait presque les oreilles. Tout le monde connaît ce son et ce feeling. Ça interpelle davantage qu’un groupe qui chante en suédois… »

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Cousins germains

« Das Modell » de Kraftwerk

Pionnier de la musique électronique, Kraftwerk a toujours essayé de contester l’hégémonie anglophone dans la musique populaire. À partir de Radio-Activity en 1975, le groupe de Düsseldorf a décliné tous ses albums en deux versions: allemande pour le marché teuton et anglaise pour l’international.

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« Fan Fan Fanatisch » de Rheingold

Rheingold, « l’or du Rhin« . Derrière ce nom emprunté à un opéra de Wagner se cache un groupe de la Nouvelle Vague Allemande emmené par Lothar Manteuffel (croisé avec Karl Bartos dans Elektric Music) et Bodo Staiger, chanteur de synthpop dans le film d’horreur Der Fan sur la BO duquel ce titre figure. Irrésistible.

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« Eisbaer » de Grauzone

Avant de chanter en français son souhait de déjeuner en paix, le Suisse Stephan Eicher avait déjà décroché quelques tubes en allemand avec Grauzone (au sein duquel évoluait également son frère Martin). À commencer par cet Eisbaer, incontournable de toutes les soirées années 80.

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« Der Mussolini » de D.A.F.

Rencontre d’un punk et d’un pianiste classique, Deutsch-Amerikanische Freundschaft maria le langage rudimentaire de la disco synthétique à des rythmes robotiques et agressifs. « Musique du corps pour des mouvements compliqués. » Le tandem a même fait danser Le Mussolini et Le Jésus-Christ.

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« 99 Luftballons » de Nena

Il a caracolé en tête des charts aux quatre coins du globe en 1984. 99 Luftballons de Nena cache un vrai contenu politique derrière son air léger et désinvolte. Sorti durant la guerre froide, il dénonce la course à l’armement et parle de ballons de baudruche identifiés comme une attaque par les forces militaires…

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