Isabelle Truc: « Le cinéma belge est condamné à être ingénieux et original »

"Les Belges ne se laissent plus faire", clame la productrice liégeoise. © JC GUILLAUME
Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Après le triomphe des Magritte, la productrice Isabelle Truc emmène Nos batailles aux César. La belle histoire continue!

Un soleil radieux baigne les fenêtres de la maison de La Hulpe où réside sa société Iota. Isabelle Truc rentre du festival de Berlin, où le marché n’a pas manqué de réagir aux belles nouvelles s’accumulant autour de Nos batailles. Elle nous montre non sans fierté le projet d’affiche pour sa sortie japonaise. Avec déjà cinq (!) Magritte dont celui du meilleur film, et une double nomination aux César (meilleur film étranger et meilleur acteur pour Romain Duris), le deuxième long métrage de Guillaume Senez fait plus que confirmer les promesses de son premier, l’admirable Keeper. Isabelle Truc est la productrice de Senez depuis ses débuts. Pour porter son premier court métrage (La Quadrature du cercle en 2006), elle a inauguré l’espace fictions de sa société, jusque-là consacrée exclusivement au documentaire. Deux autres courts métrages et les deux longs plus tard, leur collaboration complice fait de plus en plus d’étincelles. « C’est un bel l’exemple de ce qui est à la base du métier de productrice: savoir détecter, puis accompagner!« , constate-t-elle.

Sa passion du cinéma remonte à ses douze ans, quand elle prit l’habitude d’enfourcher son vélo de Bressoux, au coeur de Liège, pour découvrir de nouveaux films sur les écrans art et essai de la ville. « Je suis une enfant des Grignoux et du Parc!« , clame Isabelle, qui a fait des études de communication et de journalisme avant de travailler comme assistante puis directrice de production. « Je viens du terrain« , aime rappeler celle qui se voit comme « spécialiste de rien » mais que sa polyvalence a logiquement amené au rôle qui est le sien. « Pour faire ce job, je crois qu’il faut en premier l’amour du cinéma, et une grande force de travail, mais aussi une certaine inconscience« , sourit celle qui fonda sa propre maison de production voici 18 ans déjà. Avec Iota Production et son équipe majoritairement féminine, elle a su développer dans un premier temps la ligne documentaire (accompagnant notamment Jérôme le Maire pour Le Thé ou l’Électricité puis le saisissant Burning Out), en s’ouvrant progressivement à la fiction (les films de Guillaume Senez mais aussi ceux de Philippe de Pierpont, et Home de Ursula Meier). Sont venus s’ajouter encore l’animation (Le Chant de la mer et Brendan et le secret de Kells de Tomm Moore) et désormais le domaine des séries télé (Clean de Safia Kessas, Irène Kaufer et Sandra Zidani, en développement). Une dynamique s’enrichissant encore de coproductions de plus en plus nombreuses.

« On ne se laisse plus faire! »

Sur ce terrain de la coprod’ comme sur d’autres, les Belges savent aujourd’hui se faire respecter. « On ne se laisse pas faire!« , constate Isabelle Truc. Longtemps les coproducteurs français ont imposé à leurs partenaires belges des contrats limitant drastiquement l’accès de leurs films aux recettes. « On nous accordait les droits pour la Belgique, voire le Benelux, explique la productrice, mais le plus grand marché naturel pour un film francophone belge, le marché français, nous restait interdit. Désormais, nous les Belges francophones, nous avons plus confiance en nous, nous osons négocier des deals plus favorables. Nous sommes certes un petit pays, un petit territoire, forcé à engager des bras de fer financiers où on a rarement le dessus, mais maintenant on sait ce qu’on vaut. Et on négocie en conséquence. En prenant tous une position commune: pas de territoire réservé mais une égalité de traitement entre partenaires. C’est un rapport d’affaires, un rapport de force. Il n’y a plus de complexe, je crois. Nous sommes très présents dans les coproductions, parmi les plus actifs dans ce domaine en Europe. Nous sommes souples, ingénieux, imaginatifs. »

Ils seront deux films belges aux César, le remarquable Girl de Lukas Dhont étant lui aussi nominé au titre de meilleur film étranger. Un francophone, un Flamand, deux oeuvres de jeunes réalisateurs témoignant des ambitions et du talent de la nouvelle génération en Belgique. « Nous sommes petits -même si la Flandre a un peu plus d’argent que les francophones- et donc condamnés à être ingénieux et originaux. Nous avons comme atout, par rapport aux grands pays, de ne pas avoir de cloisonnement. Chez nous, tous les genres se mélangent, même si le film en costume et le film futuriste restent difficiles à envisager faute de gros moyens. Nos techniciens font du documentaire comme de la fiction et développent des savoir-faire importants. Le développement des studios d’animation font qu’on peut se tourner vers certains qui sont très performants en étalonnage, par exemple. Ce maillage-là nous sert aussi. En fiction, nous sommes très organisés, nous sommes comme une ruche! »

Et la productrice enthousiaste de conclure: « Aux Magritte, j’étais très heureuse. Pas seulement pour Guillaume et l’équipe de Nos batailles mais aussi parce que je sais que derrière il y a d’autres films qui viennent et qui sont très bien aussi! Ce n’est pas juste un feu de paille. Ce n’est pas un « coup » mais le résultat d’un travail de fond qui commence à payer. Les jeunes cinéastes qui suivent peuvent voir que tout est possible. Le monde est grand. Certes, la globalisation a des aspects qui peuvent faire peur, il y a de plus en plus de films, de plus en plus de projets. Mais dans ce magma, ce qui émerge est du coup le plus qualitatif. Et en Belgique, on est à maturité, on n’est plus un pays émergent, on a du fond. Il faut oser penser que le monde est à nous! »

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