Instantanés algériens

En trois histoires et autant de générations, le premier long métrage de Karim Moussaoui dresse le portrait sensible et sans complaisance de l’Algérie contemporaine.

Auteur des Jours d’avant, un moyen métrage remarqué dans le circuit des festivals et jusqu’aux César, Karim Moussaoui sonde, avec En attendant les hirondelles, son premier long, le quotidien de l’Algérie contemporaine -un pays à la croisée des chemins, comme l’on dit. Cette réalité, le réalisateur originaire de Jijel, sur la côte méditerranéenne, l’appréhende en enchâssant trois histoires mettant en scène des Algériens de trois générations confrontés les uns et les autres à des choix déterminants. « Cette structure s’est imposée dès l’écriture, explique-t-il au lendemain de la présentation de son film à Un Certain Regard. Je me demandais comment le changement intérieur s’opère chez les individus et j’ai voulu raconter des histoires de gens se trouvant dans une situation où ils sont peut-être en train de changer, et où ils se posent la question de la nécessité de ce mouvement. Je n’ai pas voulu m’en tenir à une seule histoire, craignant de devoir trop m’appuyer sur le discours et les dialogues pour traiter du sujet, alors que je préfère incarner les choses par les images. J’ai donc opté pour trois histoires que j’arrête au moment où la question se pose. Le fait de raconter les histoires de personnes de catégories sociales et de milieux différents me permettait aussi de faire comprendre que s’il s’agit d’une question individuelle, elle se pose à l’échelle d’un pays. »

« Est-ce que tu veux que ça change ou que ça évolue?« , interroge l’un des protagonistes du film, en résumant d’une phrase l’un des enjeux majeurs. S’il place le coeur du problème au niveau de l’individu, Moussaoui inscrit aussi son propos dans un horizon mouvant. À savoir celui qui, à l’orée du XXIe siècle, a vu l’Algérie sortir d’une décennie sanglante dont les traumatismes sont encore vivaces -une des histoires du film s’y réfère d’ailleurs directement-, pour entamer un nouveau chapitre de son histoire. « Si l’on veut du changement, encore faut-il se mettre d’accord sur ce que l’on entend par là. Mais l’évolution, féconde ou pas, est bien là, et c’est une phase très intéressante. Plein de choses ont été testées pendant les années 2000: on a connu une période de consommation, un peu de mondialisation, perceptible dans la manière dont les vitrines sont désormais conçues. On peut en trouver de semblables à celles de Paris, des supermarchés comme ceux de New York, il y a des chaînes de télévision locales qui présentent les choses de la même manière que CNN ou la BBC, les gens s’habillent de plus en plus de la même façon, ils essaient tout ça. On a tout, a priori, pour être heureux -c’est du moins ce que nous disent tous les discours du monde: on n’a pas de raison d’être malheureux, on mange beaucoup, pas bien mais beaucoup, on s’habille beaucoup, et le plus important, c’est de travailler et produire encore. L’Algérie n’échappe pas à ça, et est en train de marcher dans cette logique-là. Sauf que la question du bonheur est rarement mise au centre des débats, et elle est en train de se poser, en Algérie comme partout.« Si bien qu’En attendant les hirondelles raconte aussi une crise existentielle.

Instantanés algériens

Errance intérieure

Karim Moussaoui y met la manière, et son film, tout en gagnant en ampleur au fil de ses histoires successives, s’inscrit harmonieusement dans l’espace algérien, le parcours intérieur des personnages se muant en voyage géographique, du nord vers le sud, de la ville vers des terres semi-arides aux reliefs changeants -manière encore de rendre compte d’une réalité multiple. « Il était clair à mes yeux que le film devait débuter à Alger, la capitale, qui représente l’Algérie quelque part. On commence donc en milieu urbain, avec une classe un peu aisée, bourgeoise, et puis on part vers un milieu rural -la question de la ruralité ne se pose pas de la même manière en Algérie qu’en France ou ailleurs- et enfin, un milieu semi-rural, avec une cité qui se situe à côté d’un champ d’agriculteurs. Mon film précédent parlait déjà de ces cités: c’est très étrange, parce que le cadre n’est pas clairement défini. Ça correspond pour moi à cette errance intérieure que l’on trouve chez mes personnages, qui n’arrivent pas à se définir. J’ai essayé de trouver des lieux de tournage en accord avec ça. » Et avec cette philosophie voulant qu’il parte « toujours avec l’idée qu’il y a des choses que j’aimerais ne pas dire avec des mots« , faisant confiance à l’attitude des corps, à la mise en scène, aux décors et au silence. Ou, pour faire court, au cinéma…

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