Halla veut sauver le monde: « Pense global et sois local! »

© DR
Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Benedikt Erlingsson célèbre une héroïne dans son épatant et donquichottesque Woman at War. Rencontre.

Lire aussi notre critique: Woman at War, épatant !

« Je suis un moraliste!« , déclare tout de go Benedikt Erlingsson. Le cinéaste islandais arbore un crâne rasé, une barbe et un léger sourire sous des yeux gris-vert pleins d’intelligence. À 49 ans, il offre avec Woman at War un des films européens de l’année. L’histoire d’une femme « en lutte pour sauver le monde« , décochant ses flèches (littéralement) aux multinationales complices de la détérioration du cadre de vie, de la pollution, de la marche de l’humanité vers sa perte. « C’est un film de combat, lance le réalisateur également scénariste, un film sur le désir d’être utile, de se sacrifier pour quelque chose de grand, quelque chose d’autre que nous. Je crois que nous avons tous ce besoin au fond de nous. Nous le faisons déjà tous pour nos enfants, certains d’entre nous le font pour l’humanité entière(1). » Très précis dans sa préparation (il a retravaillé trois ou quatre fois le storyboard complet, plan par plan, de son film), Erlingsson signe un film échappant à tout classement réducteur. « Tragi-comédie? Comi-tragédie, comme dit un personnage de Shakespeare? Rappelons-nous que dans le théâtre de la Renaissance, la seule différence entre une comédie et une tragédie résidait dans la fin. Roméo et Juliette est une pièce pleine de drôlerie, d’amour et d’humour. C’est une tragédie parce que tout le monde meurt à la fin…« 

Le cinéaste s’est plu « à subvertir les clichés du film d’action essentiellement masculin façon Tom Cruise ou Mel Gibson, tout en mettant au centre du film une héroïne, au sens le plus fort du terme, une femme avec une mission, et qui échappe à toute explication rassurante de ce qu’elle fait. C’est toujours ce qui, en nous, ne s’intègre pas, n’entre pas dans le cadre, qui nous rend intéressants. » Après avoir longtemps voulu faire jouer de vraies soeurs jumelles pour incarner Halla et Asa, il a donné le double rôle à Halldora Geirhardsdottir, une amie actrice avec laquelle il avait déjà beaucoup travaillé au théâtre, et qui a joué notamment le rôle de Don Quichotte. Prémonitoire pour une interprète que son réalisateur compare à « une déesse aux multiples visages« .

Halla veut sauver le monde:

« Local global »

Woman at War est à la fois très ancré dans une réalité locale et d’une portée largement universelle. Benedikt Erlingsson parle de « local global« . « Pense global et sois local! C’est en osant être le plus local que tu deviens le plus universel. Trop de cinéastes oublient ça et s’acharnent à reproduire des schémas prétendument universels mais ils se plantent car ça ne marche pas comme ça. Et c’est vrai de tous les arts. Sans doute parce que la sincérité est une chose fondamentale pour toucher les autres. Nous autres, réalisateurs islandais, nous tournons nos films sur une île de l’océan Atlantique où la plus ancienne langue germanique encore existante est parlée par 360.000 habitants. Pour travailler, il nous faut créer quelque chose qui a du sens pour nous-mêmes, pour les Islandais. Mais le marché local étant tellement étroit, nous devons nous adresser en même temps à une audience plus large. Nous appelons ça « créer de l’art au format mondial », j’aime beaucoup cette phrase… »

Erlingsson évoque volontiers ce qui l’a formé au départ: « la tradition orale, les récits d’action du XIIe siècle que me racontait mon grand-père quand j’étais gamin, et puis bien sûr l’Odyssée d’Homère, qui est une leçon de narration libre« . Il use lui-même d’une liberté totale, comme quand il intègre par exemple la musique à l’action, en plaçant les musiciens en train de jouer dans le cadre. Une initiative payante, très soigneusement préparée pour « réserver au spectateur une première surprise, puis une deuxième, et ainsi de suite ». « Car s’il faut passer un accord avec le spectateur au début du film, il faut ensuite briser cet accord pour en passer un autre, emmener le public bien au-delà de ce à quoi il peut s’attendre! » Benedikt Erlingsson sourit en expliquant qu’à un moment donné, « le raconteur d’histoire doit trahir le moraliste, connaître l’ennemi -comme disait Shakespeare- et ses arguments, pour créer une dramaturgie forte, un spectacle. Toute création d’histoire est une tentative de refaire le monde. Nous pouvons le faire autour d’une bière, ou en réalisant un film…« 

(1) Erlingsson fut un jeune activiste politique et écologiste, s’enchaînant entre autres à un baleinier.

Halla veut sauver le monde:

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content