GOD SAVE THE QUEER

© © JENNA FOXTON

PROGRAMMÉS LE SAMEDI 8 AVRIL PAR FOREST SWORDS À L’AB, LES TROIS ANCIENS ÉTUDIANTS EN ART DE SHOPPING SECOUENT EN MODE NO WAVE ET ANTICAPITALISTE LA SCÈNE QUEER LONDONIENNE.

« Un jour, dans la file des toilettes une fille me dit: ah tu es dans un groupe? Super. Il s’appelle comment? Shopping? Et vous êtes des filles? Vous aimez faire les magasins? » Plutôt timide et posée, Rachel Aggs rigole. « Ce n’est apparemment pas clair pour tout le monde et on ne parle jamais de tout ça entre nous. Mais on a, oui, ce côté anticapitaliste et anti-establishment. Même si on fait partie du système, essaie de vous vendre des disques et de vous fourguer des t-shirts. »

Si Shopping a en 2013 intitulé son premier album Consumer Complaints, le clip de Straight Lines (sur Why Choose) utilise des corps nus comme sofa, lampadaire et table de salon… « Avec davantage de jugeote, nous essayerions de nous vendre. De nous créer des personnages, sourit le batteur Andrew Milk qui avoue avoir commencé la musique à 24 ans. Mais on ne peut pas être aussi dogmatique. Tout ce qu’on fait est un peu pince sans rire, à la fois sérieux, amusant et accessible. Certes, des gens sont utilisés comme objets. Mais c’est aussi plutôt drôle. Ça ne veut pas dire qu’on ne pense pas que le monde est foutu. Mais on n’a pas de solution. Et on évite soigneusement de donner des leçons et de faire dans le bourrage de crâne. »

Tous trois passés par des études artistiques, Rachel, Billy et Andrew ont joué dans un tas de groupes (Trash Kit, Wetdog) ayant impacté une scène art punk queer anglaise à l’esprit profondément Do It Yourself (on vous recommande aussi Towel ou Skinny Girl Diet). Avant de débarquer à Londres, Milk a commencé par organiser des concerts à l’arrache dans la cafétéria de son université. Aggs a fui Oxford et sa Ruskin School of art.

« C’était horrible. En arrivant, je nourrissais une espèce d’utopie. Je pensais rencontrer plein de gens intelligents qui auraient des réponses à toutes mes questions mais j’ai surtout croisé des étudiants privilégiés qui passaient leur temps à se bourrer la gueule et rêvaient sans doute de devenir businessmen ou politiciens. Plutôt du genre conservateurs. Pas de blacks, pas de queers et un environnement chrétien oppressant. Définitivement pas un cool endroit pour être artiste et jouer de la musique. »

Dansons sous les bombes …

Les trois mousquetaires ont lancé Shopping alors qu’ils travaillaient au Power Lunches, salle de concerts underground aujourd’hui fermée de l’East London, où tout le monde semblait avoir un pied dans un groupe ou à tout le moins dans la musique. « Quand on a commencé à en faire ensemble, se souvient Andrew, c’était particulièrement chaotique. On s’appelait Covergirl et je ne pense pas qu’on avait la moindre idée de ce qu’on voulait faire. On faisait surtout beaucoup de bruit dans un grand bordel. » « On écoutait beaucoup de pop, explique Rachel. De la musique à danser. Des trucs house des années 90. Et on a voulu faire quelque chose d’excitant dans un état d’esprit similaire. Mais en jouant de la guitare et en sautillant partout parce que c’est tout ce qu’on savait faire. »

No wave, post-punk… Il y a du ESG, du Delta 5, du Talking Heads ou encore du Gang of Four dans le caddie de Shopping. Un esprit contestataire mêlé à un vrai sens de la fête. Milk avoue avoir été biberonné au hip-hop et au r’n’b’ avant de se passionner pour les riot grrrls. Aggs, elle, a baigné dans le folk et a appris le violon avant d’aduler les trucs les plus fous, bordéliques et arty de la vieille garde new-yorkaise. Lydia Lunch, James Chance and The Contorsions, DNA, Teenage Jesus & The Jerks… « ESG aussi évidemment, qui avait le minimalisme, le côté punk et des morceaux carrément dansants, reprend Rachel. Trois femmes de couleur en plus, c’était spécial… » Au fur et à mesure que se sont dégagés ses horizons, Aggs s’est mis à percevoir la danse comme une forme de contestation. Elle assume l’influence de Kathleen Hanna (Bikini Kill) et de son groupe d’extrême gauche Le Tigre. Ardents défenseurs de la cause lesbienne. « Ils incarnaient un espace queer et féministe. Leur musique était politique et rendait les choses visibles. C’était fun, dansant et cathartique. La dance music a été très instrumentalisée et commercialisée. C’est ce qui rend plus puissant le fait de la ramener dans des espaces punks et indie, où on peut danser aussi. Pas besoin de payer dix livres pour se déhancher sur des disques ou des MP3. »

« On est politiques. Mais on reste amusants et on veut faire bouger les gens, poursuit Milk. L’histoire de la dance music, depuis les années 70, c’est l’histoire de queers qui trouvent des espaces, des maisons, des boîtes, pour pouvoir danser ensemble. C’est devenu un mouvement politique. Quand tu crées des endroits pour que les gens puissent venir s’amuser, être libres et s’exprimer sans peur, c’est puissant. J’aime aussi nous trouver une filiation avec le disco. Plus que le punk, la dance music a donné à la communauté queer, ainsi qu’aux gens de couleur et aux marginaux, de la force. Des lieux d’expression où ils pourraient avoir une voix communautaire et donc du pouvoir. » Shopping bosse actuellement sur un troisième album et parle d’un EP de remixes (notamment par Helm). Préfère remuer ses fesses que d’attendre que les choses se passent. Il a donné sa première tournée européenne sans le moindre support physique. « Personne ne savait qui on était mais nous, on se sentait prêt. » Le groupe a sorti son premier disque sur son propre label Milk Records. « Il n’y a pas qu’une seule manière de bien faire les choses dans l’industrie du disque. Beaucoup ont l’impression qu’il faut à tout prix se trouver un tourneur, un manager. Tout ça n’est qu’un mythe pour que des gens puissent continuer à avoir du boulot dans le milieu de la musique. »

WHY CHOOSE, DISTRIBUÉ PAR FAT CAT/KONKURRENT.

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LE 08/04 À L’AB (À 19H30 ET 22H30) DANS LE CADRE DU FESTIVAL BRDCST.

RENCONTRE Julien Broquet, À Utrecht

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