Fin du fin

Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

LEADER DU GROUPE THE INTERNET, SYD SORT SON PREMIER ALBUM SOLO. UN BIJOU DE R’N’B QUEER ET CAPITEUX. BRUMEUX À LA PREMIÈRE ÉCOUTE, ADDICTIF DÈS LA TROISIÈME.

Syd

« Fin »

DISTRIBUÉ PAR SONY.

8

Balayez les clichés, il en restera toujours quelque chose. Ainsi en va-t-il de l’homophobie dans le milieu hip-hop. Non pas que le phénomène ne soit pas présent. Mais l’est-il réellement davantage qu’ailleurs? Ou en tout cas, assez que pour résumer la démarche des rappeurs à des poses machos bas du front? Il faudrait au moins poser le débat. D’autant que, ces dernières années, le hip-hop, comme le r’n’b, s’est largement ouvert sur la question queer. Récemment encore, ILoveMakkonen a opéré son coming out, sans que cela ne suscite vraiment de grand émoi (après s’en être étonné, les rappeurs de Migos ont rapidement rectifié le tir, soulignant qu’ils « aimaient tout le monde, straight ou gay »).

Bien avant cela, il y eut encore la « polémique » Tyler, The Creator. Certaines de ses rimes avaient pu semer le doute sur sa tolérance, avec leur manie de jouer l’outrance et l’humour au 23e degré. Il a fallu rappeler que l’intéressé est aussi l’un des instigateurs du collectif Odd Future. Une tribu soudée qui compte dans ses rangs Frank Ocean -qui n’a pas attendu longtemps avant de donner des indices sur sa bisexualité- ou encore Sydney Bennett, dont le home studio a servi à produire les premiers morceaux du collectif. Surnommée Syd Tha Kyd, elle montera le projet néo-soul The Internet, signé sur le label d’Odd Future, et dans lequel elle n’a jamais caché son homosexualité.

Aujourd’hui, après trois disques avec son groupe, la jeune femme sort son premier album solo. Les fans de The Internet ne seront pas trop décontenancés. Syd Bennett continue de creuser une soul/r’n’b de fin de nuit. Un groove liquoreux qui renverrait éventuellement vers ce qu’on a appelé dans les années 80 la « quiet storm », ce r’n’b ultra-smooth, mais en version plus capiteuse.

Fin n’est pas un album spectaculaire. De loin, il façonne même une sorte de détachement. Il faut quelques écoutes pour dissiper la brume. On y retrouvera alors, à la fois des bribes de r’n’b nineties à la Aliyah (Drown in It, Know), et l’un ou l’autre clin d’oeil à la trap music (All About Me, No Complaints). Sur la pochette du disque, elle apparaît à moitié dans l’ombre, cultivant un look androgyne, coupe iroquois et sweat à capuche. Artiste queer, Syd donne ainsi un autre écho à certains tics r’n’b masculins: « I want you to shake it for these dollar bills », s’amuse-t-elle sur Dollar Bills. Ailleurs, elle rejoue Independent Women (sur Got Her Own). La démarche n’a toutefois rien de revendicatif: « You preach ’bout revolution and dreams/I really do this/I lead by my example/I see fame as a nuisance », insiste-t-elle sur All About Me. D’ailleurs, Fin est bien davantage un disque sur le fait de grandir. Celle qui a désormais laissé tomber la précision Tha Kyd, n’a plus à traîner les errances de l’adolescence. À 24 ans, elle peut désormais embrasser les incertitudes et les doutes de l’âge adulte. Craquant le vernis en toute fin de disque, elle chante: « You can thank my insecurities/for keeping me around you, babe. » En cela, si Fin est d’abord une affirmation, c’est dans ses doutes qu’il est le plus attachant.

LAURENT HOEBRECHTS

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