Deux ans dans un hôpital pour comprendre les secrets du burn out

Le réalisateur Jérôme le Maire a suivi durant deux ans l'équipe chirurgicale d'un des plus grands hôpitaux de Paris. © DR
Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Jérôme le Maire fait de l’hôpital en crise (de nerfs) un miroir de la société dans Burning Out, un documentaire à voir absolument. Rencontre.

C’est en lisant, avant publication, le livre de Pascal Chabot Global Burn-out (1) que Jérôme le Maire a senti pour la première fois que le milieu hospitalier pouvait offrir son microcosme en « miroir d’un trouble, de certaines tensions et pressions » qu’il avait perçus dans notre société au retour d’un long séjour au Maroc. « On commençait à parler du burn out dans les journaux, dans des reportages à la télévision, mais il n’y avait pas de film. Et il y avait un film à faire, pour voir les choses non pas au premier degré mais avec une distance, permettant de montrer ce que signifie le burn out. »

L’épuisement professionnel, « maladie systémique » d’un siècle encore jeune et déjà pourtant si usé, le réalisateur belge du Grand’Tour et de Le Thé ou l’Électricité l’a filmé à l’hôpital Saint-Louis, à Paris. Et plus précisément au coeur d’un service chirurgical où il a passé… deux ans dont un an et demi en repérages seulement! « Un an et demi durant lequel je n’avais pas encore l’autorisation de l’Assistance publique, un immense bateau de 100.000 employés dont 20.000 médecins« , raconte un le Maire qui est entré dans l’hôpital « par une porte dérobée« , ouverte par une anesthésiste qu’il avait rencontrée lors d’une conférence donnée à Saint-Louis par Pascal Chabot. Face à un organigramme très compliqué (« lui-même un facteur de burn out, au passage… »), le cinéaste est allé voir une à une toutes les personnes potentiellement concernées par le film à venir. « D’abord les chefs de service, puis les autres, 300 au total. Mais c’est au moment de demander les autorisations de tournage que je me suis vu baladé dans tous les sens. Six mois à être renvoyé d’un interlocuteur à l’autre. Bien sûr, le sujet abordé est très délicat, il n’est pas évident pour une direction de dire oui. Finalement l’autorisation est venue, associée à un droit de regard mais en me laissant le final cut. Restait tout de même à obtenir la permission de chaque personne pour pouvoir la filmer. Car il faut un contrat de cession de droit à l’image par personne. »

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Une parole libérée

Jérôme le Maire n’entend aucunement nier « l’influence qu’il a pu avoir en débarquant de l’extérieur, en focalisant l’attention sur la problématique et en reliant d’une certaine manière les gens entre eux par caméra interposée« . La présence de la caméra, celle du réalisateur intervenant parfois -et à juste escient- pour poser une question, a comme libéré la parole de médecins et de soignants surpris de voir leur employeur donner son feu vert à une entreprise potentiellement gênante… mais que la direction ne souhaita pas entraver après avoir vu le film. « Le directeur de la communication m’a même dit qu’il avait appris des choses sur son propre établissement!« , s’exclame un le Maire qui a pourtant beaucoup douté. « Ce film a été pour moi presque comme une traversée de l’enfer, confie-t-il, encore ému, j’ai eu très peur de ne pas réussir, avec cette tension monstrueuse qui règne là-bas, dans laquelle ces gens vivent quotidiennement mais qui était toute nouvelle pour moi. Parvenir finalement à faire un film de tout ça m’a donné une plus grande confiance en moi mais aussi et surtout dans les autres. La théorie qui veut que de toutes petites choses, de tout petits liens, peuvent changer tellement de choses plus importantes, j’ai appris qu’elle était vraie. Quand Marie-Christine, l’anesthésiste, fait ce geste de caresser le visage d’un patient, autant je crois pour se rassurer elle-même que pour rassurer le patient, cela touche, et par-delà cela peut faire réfléchir, donc influencer l’avenir. » L’expérience de Burning Out a encore renforcé Jérôme le Maire dans sa foi en un cinéma « qui prend le temps de s’arrêter pour regarder« . Son film veut agir sur la société. « Je crois profondément en l’humain, conclut-il. J’y crois trop pour le soumettre à une démonstration qui ne ferait que répéter ce qu’on entend toute la journée sans plus y prêter attention. Je veux passer par la sensation. Si on ressent les choses de manière simple et humaine, on se dit que tout n’est pas fichu, que l’espoir est possible… »

(1) Paru en 2013 aux Presses universitaires de France, dans la collection Perspectives critiques.

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