Coltrane Time

The Final Tour documente la fin de la collaboration entre Miles et Coltrane, les deux hommes vont inventer, le temps d’une tournée, le futur du jazz.

Alors que Miles Davis entame, en 1960, sa première véritable tournée européenne(1), John Coltrane s’apprête à quitter la formation du trompettiste. Il faudra la médiation du producteur Norman Granz pour que « Trane » accepte de prolonger son séjour chez Miles de trois semaines. Sous l’intitulé « Norman Granz JATP Presents The Jazz Winners 1960 », le quintette de Miles Davis (Paul Chambers, basse; Wynton Kelly, piano; Jimmy Cobb, batterie) va partager l’affiche avec le trio d’Oscar Peterson et la formation de Stan Getz pour un festival itinérant qui les verra se produire en France, en Suède, au Danemark, en Allemagne de l’Ouest, en Suisse, en Autriche et aux Pays-Bas. Les concerts figurant sur ce CD ont été enregistrés à Paris, Stockholm et Copenhague les 21, 22 et 24 mars et sont tout sauf inédits puisque objets, depuis 40 ans, de multiples publications pirates. Pourtant, nous tenons avec The Final Tour un peu plus qu’une édition de luxe: non seulement ces quatre CD collent pour une fois parfaitement à l’intitulé de la collection en réunissant les concerts radiodiffusés de la tournée, mais, en plus, ils documentent, dans une qualité de son améliorée, un événement hors normes: celui du jazz en train d’inventer son futur immédiat.

Coltrane Time

De la modernité

Si les concerts de Paris sont sans doute les moins aboutis de ce Final Tour, ils placent pourtant la barre déjà bien haut. Certes, Miles n’y prend que de très courts solos et Trane avance encore en tâtonnant. Mais, déjà, l’on y entend ce mélange de musique modale, de dissonances, de phrases répétitives et hors tempo (Coltrane et ses fameux  » sheets of sound ») dont le niveau atteindra des sommets en Suède et au Danemark. Inévitablement, ce que l’on retient de Paris, ce sont les sifflets accompagnant le ténor (il ne joue pas encore de soprano en public) tout au long de ses soli de la part de spectateurs qui espéraient, peut-être, qu’on leur rejoue Kind of Blue ou en attente, déjà, des prestations plus civilisées de Getz ou Peterson à venir. Lorsqu’on le questionnera sur l’attitude de cette partie du public, Coltrane répondra avec la sincérité sans arrière-pensée qui était la sienne: « ils ont raison, je ne vais pas assez loin ». Sauf que pasassez loin, c’est déjà demain! Le chemin emprunté par Coltrane durant la tournée dessine un univers encore en devenir mais qui, après Ornette Coleman et avant Cecil Taylor, va se répandre comme la lave du volcan et précipiter le jazz dans les tourbillons brûlants de la modernité. Le quintette trouvera sa vitesse de croisière dès les concerts scandinaves. Le groupe y gagne en cohérence et les soli du sprinter Wynton Kelly ou de Miles l’introverti se mettent au diapason d’un Coltrane dont le son et la vitesse du phrasé, avec ses multiphonics aussi torturés que lyriques, imprégnera bientôt la new thing puis le jazz tout entier.

Miles Davis & John Coltrane

« The Final Tour – The Bootleg Series, Vol. 6 »

Columbia Legacy 448392/ Sony Music 4CD.

9

(1) Ses séjours en Europe (1949, 1956, 1958) n’avaient été jusque-là que ceux d’un soliste autour duquel on réunissait quelques Américains expatriés ou en tournée et des musiciens locaux.

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