Wolfenstein II: le grand retour du jeu qui a inventé le FPS moderne

Wolfenstein II © Bethesda
Michi-Hiro Tamaï Journaliste multimédia

Claquant une mise en scène inspirée par Tarantino et Alejandro González Iñárritu, Wolfenstein II: The New Colossus crache sur Trump et les nazis. L’Alt-right américaine n’a pas apprécié. Explications avec Jerk Gustafsson, son réalisateur.

Jamais un jeu vu à la première personne n’avait déployé une action aussi fluide, hypnotique et violente en 1992. En piégeant le gamer dans un château infesté de nazis, Wolfenstein 3D inventait le First Person Shootermoderne. Ce genre qui a propulsé le gaming au rang d’industrie est fréquemment critiqué pour sa violence. Aujourd’hui, la sortie de Wolfenstein II: The New Colossus déplace les débats du côté idéologique du pixel. Deuxième épisode d’une nouvelle trilogie lancée il y a quatre ans, cette formidable uchronie imaginant que les nazis ont gagné la guerre se retrouve en effet prise en otage par l’Alt-right américaine.

Petit rappel des faits. En juin dernier, The New Colossus se dévoilait sur un trailer de huit minutes (ci-dessous). La séquence montrait deux cagoules du Ku Klux Klan et un officier SS se balader bras dessus bras dessous dans une bourgade sudiste colorée de croix gammées. Plus loin, une femme leader du Front Révolutionnaire Noir crevait l’écran. De la zone de commentaires du trailer YouTube aux colonnes de 4chan ou Reddit, les propos racistes, négationnistes, antisémites et complotistes ont rapidement afflué. Précisant que son idéologie est différente de celle des nazis, l’Alt-right US s’en est indignée. Racisme anti-blanc et communisme revenaient également parmi les griefs adressés à la vidéo promo. Pendant ce temps, les antifas US vénéraient l’annonce du nouveau Wolfenstein

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« Je ne peux que déplorer cette récupération et pour être honnête, je ne sais pas vraiment comment me sentir face à ça« , insisteJerk Gustafsson, le réalisateur du jeu chez MachineGames. « Mais franchement, ces réactions ne m’ont pas surpris. C’est le lot de toute histoire qui croise des personnages du Ku Klux Klan et des nazis. Nous sommes conscients que le climat politique a changé aux États-Unis ces dernières années. Mais nous avons commencé à écrire les grandes lignes du scénario de cette trilogie en 2010, à Dallas. Ça fait en outre 20 ans que le nazisme est le sujet principal de la série, nous ne faisons que perpétuer cette tradition. »

Suivant l’aventure européenne du premier New Order, Wolfenstein II: The New Colossus exporte sa chasse aux nazis sur le sol américain avec un talent ludique et narratif remarquable. D’une coupure de presse louant les mérites d’un « formidable mur protecteur » entourant la rebelle Nouvelle-Orléans à l’extrait d’un livre expliquant comment un homme stupide peut devenir président des USA, cette traversée d’une Amérique sous occupation fasciste écorche discrètement Donald Trump. De son côté, le marketing de Bethesda (l’éditeur du jeu) lançait le hashtag #NoMoreNazis et le slogan « Make America Nazi-Free Again« .

Super-héros hanté par le souvenir de sa mère juive, Blaskowicz emmène sur New Colossus une troupe de bras cassés en croisade contre la croix gammée. Mais Bethesda répète à qui veut l’entendre que ce n’est qu’un divertissement, qu’il ne veut pas délivrer de message particulier et encore moins susciter de débat politique. « Même si nous n’avions pas d’agenda politique lorsque nous avons écrit le jeu, nos histoires finissent toujours par être engagées d’une certaine manière« , admet toutefois Jerk Gustafsson. « C’est très difficile de ne pas l’être, surtout lorsqu’on parle de révolution. »

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Au-delà de son récit évoluant quelque part entre The Man in the High Castle de Philip K. Dick et Fatherland de Robert Harris, New Colossus se montre également progressiste dans son casting. Deux femmes y occupent ainsi des rôles forts en gueule, des deux côtés de la croix gammée. Tout en allaitant son nourrisson, entre deux fusillades, Grace Walker, chef de la résistance new-yorkaise du Front Révolutionnaire Noir martèle ainsi que la communauté noire américaine se bat depuis plus longtemps que les Blancs face aux nazis. À l’exact opposé, Irene Engel, psychopathe nazie en chef ridiculise le surpoids sa fille, au beau milieu d’une exécution sommaire…

« Construire des personnages forts est primordial. Le plus difficile était de glisser des profils intéressants face à un héros de film d’action très basique, aux airs d’Arnold Schwarzenegger« , note encore Jerk Gustafsson. « On a donc beaucoup travaillé pour lui donner une personnalité, dévoilant ses failles, sa part d’ombre. Il est essentiel de creuser la narration dans un jeu vidéo car au-delà du gameplay, elle donne une motivation supplémentaire au joueur pour avancer. »

Développant une tension comparable à celle fomentée par Tarantino sur Inglourious Basterds, plusieurs scènes de New Colossus se gravent dans la mémoire. Adolf Hitler crache ses restes de tripes en tyran gâteux, réfugié dans une station stratosphérique sur Vénus (!). Enfin, cette scène virtuose où Blaskowicz se querelle avec un rebelle communiste sur fond de balles qui sifflent et de free jazz. La batterie d’Antonio Sánchez qui syncope le plan-séquence du génial Birdman d’Alejandro González Iñárritu n’est pas loin. Wolfenstein casse toujours du nazi, mais il a bien changé depuis ses débuts. Doué en cinéma, il se dresse aussi comme un terrible marqueur de notre temps. Une époque où l’anti-nazisme consensuel du jeu vidéo en vient à être remis en cause.

Wolfenstein II: The New Colossus, édité par Bethesda et développé par MachineGames, âge: 18+, disponible sur PC, PlayStation 4 et Xbox One. ****

Cours vite!

Adeptes de la planque, passez votre chemin. Wolfenstein: The New Colossus exige une mobilité permanente et s’arrange toujours pour prendre le gamer entre des tirs croisés. Ultra rapide et violent, cet implacable First Person Shooter duplique la formule du précédent épisode sans la renouveler. Certes, des pouvoirs spéciaux permettant de marcher sur des échasses, s’aplatir et défoncer des murs sont jetés au gamer. Mais la poignée de mouvements tactiques et de chemins de traverse qu’ils suscitent ne changent pas fondamentalement son âme. Entrecoupé de passages en mode aventure plus reposants, le titre peuplé de boss mécaniques épiques (coucou panzerhund!) demande aussi de la patience. Il ne décolle en effet qu’à partir d’un quart de sa progression. Tout vient à point…

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