Chat perché

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Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

DE TOUS LES BONS PLANS, LE BASSISTE THUNDERCAT SORT UN NOUVEL OVNI AU RIRE GRINÇANT. R’N’B DÉVIANT, JAZZ DE QUINCONCE, SOFT ROCK PERVERS: BOXON DANS LA LITIÈRE!

Thundercat

« Drunk »

DISTRIBUÉ PAR BRAINFEEDER.

7

Sur foi de son CV, on donnerait à Thundercat le bon dieu sans confession. Né Stephen Bruner (L.A., 1984), le bassiste virtuose s’est taillé une réputation en jouant à la fois au sein du groupe hardcore Suicical Tendencies, et sur les deux derniers albums de la diva soul Erykah Badu. Par la suite, il a squatté quelques-uns des disques les plus passionnants de ces dernières années. Dans l’ordre, on l’a vu mettre le nez dans le trip psyché de You’re Dead! signé Flying Lotus (2014), participer à l’épopée rap de To Pimp A Butterfly par Kendrick Lamar (2015), et inscrire son nom au plantureux générique de The Epic, triple album du saxophoniste jazz Kamasi Washington.

De quoi affoler raisonnablement la machine à hype. Ce que Thundercat n’a pas manqué de faire, au moment de sortir ce troisième album sous son nom. Le bassiste n’a cependant pas que des références. Il a aussi de l’humour. Pour le meilleur. Et parfois pour le pire.

Rire jaune

Le second degré est un art délicat à manier, particulièrement en musique. Une fois la blague dégoupillée, que reste-t-il? C’est tout le débat de Drunk -23 titres en quelque 50 minutes-, à la fois le plus direct et le plus sarcastique de la discographie de Thundercat. Et sans doute pour cela, aussi le plus frustrant.

Au moins, l’intéressé ne fait-il pas mystère de ses intentions. D’abord en intitulant l’album Drunk, ensuite en se baptisant Captain Stupido dès le 2e morceau: « I feel weird », annonce-t-il. Sans blague. On connaissait par exemple déjà le goût du bonhomme pour les plans jazz fusion pas toujours facile à digérer. Il ajoute ici l’une ou l’autre oeillade appuyée au smooth jazz ou, pire, au soft rock: comment prendre le single Show You The Way, où il invite les tricards Michael McDonald et Kenny Loggins, sinon comme un exercice de style rock FM eighties, que même Toto (ou Daft Punk) n’aurait jamais osé fantasmer. Même quand il tend une main à l’époque -en intégrant à son album des noms comme Kendrick Lamar, Pharrell Williams ou Wiz Khalifa-, Thundercat reste malgré tout dans son monde. Un univers décalé à la manière d’un Frank Zappa, avec tout ce que cela peut avoir de grinçant, sarcastique et, pour tout dire, assez désarçonnant.

Passée la gaudriole, Drunk a pourtant pas mal de choses pour lui. Assez en tout cas que pour faire pencher la balance du bon côté et donner l’envie de s’y replonger. Comme le p-funk de Friend Zone, le toujours aussi efficace Them Changes (single sorti en 2015), ou l’accès de sincérité de Drunk : « Drowning away all of the pain, ’till I’m totally numb / Sometimes you want to feel alive, but not on someone else’s dime » (« Noyant toute la douleur/à me rendre complètement stupide/Parfois vous voulez vous sentir vivant/Sans que soit aux dépens de quelqu’un d’autre »). On s’en doutait un peu, mais si Bruner se marre, c’est pour masquer le désespoir. Sur A Fan’s Mail, il lance une (nouvelle) dédicace à son chat (Tron pour les intimes). « Everybody wants to be a cat », miaule-t-il (littéralement). Le sourire grinçant alors, tendance chat de Cheshire…

LAURENT HOEBRECHTS

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