Chambre avec vue

AU TOURNANT DES ANNÉES 60, LESLIE STEVENS SIGNE UN MODÈLE DE THRILLER VOYEURISTE OÙ DEUX DÉLINQUANTS POURSUIVENT UNE JEUNE FEMME DE LEURS ASSIDUITÉS…

Propriété privée

DE LESLIE STEVENS. AVEC COREY ALLEN, WARREN OATES, KATE MANX. 1960. 1 H 20. ED: CARLOTTA. DIST: TWIN PICS.

7

Écrit et réalisé à la toute fin des années 50 pour trois francs six sous par Leslie Stevens, futur créateur de la série télévisée Au-delà du réel, Propriété privée (Private Property) compte parmi ces pépites du film noir fort opportunément arrachées à l’oubli par Carlotta. Ainsi donc d’un thriller vénéneux, mettant en scène deux plus tout jeunes délinquants, Boots (Warren Oates) et Duke (Corey Allen), qui, avisant une jolie blonde (Kate Manx) remontant la Pacific Coast Highway au volant de sa Corvette, contraignent un automobiliste à la suivre. Direction les hauteurs de Los Angeles, où les deux voyous squattent la villa voisine de celle de la jeune femme, Ann Carlyle, épouse délaissée qu’ils n’ont pas l’intention de se contenter d’épier lézardant au bord de sa piscine, l’intrigue combinant efficacement tension sexuelle et angoisse lancinante…

Ayant bénéficié d’une exemplaire restauration 4K, effectuée par les soins du UCLA Film & Television Archive, Propriété privée tient assurément de la curiosité. Variation lascive sur le modèle voyeuriste de Fenêtre sur cour (et s’autorisant, à ce titre, un clin d’oeil amusé à Alfred Hitchcock), le film ajoute à l’inconfort omniprésent de larges bouffées d’amertume. Un mélange détonant, comme l’est celui de rouerie et de (fausse) candeur présidant aux échanges. Lesquels prennent un tour résolument insolite du fait du jeu atypique et quelque peu erratique de Kate Manx (Mme Stevens à la ville, dans l’une de ses rares apparitions à l’écran avant son suicide, en 1964), Warren Oates, dans l’un de ses premiers grands rôles, restant pour sa part dans l’ombre de l’impeccable Corey Allen -vu précédemment dans Rebel Without a Cause et Party Girl de Nicholas Ray.

Au-delà de son scénario, dont on louera aussi bien l’audace que la sécheresse, l’intérêt du film tient encore à son esthétique. Son noir et blanc fut confié en effet, comme ne se fait faute de le rappeler le photographe de plateau et futur réalisateur de séries TV Alexander Singer dans une passionnante interview, au légendaire Ted McCord (directeur photo sur East of Eden et autre Young Man with a Horn), Conrad Hall (futur DOP de Cool Hand Luke, Fat City ou autre American Beauty) maniant pour sa part la caméra. Leur association fait des étincelles, dans l’épatant final nocturne notamment. Et transcende l’étroitesse manifeste des moyens -le tournage ne s’étendit que sur dix jours, la villa du réalisateur servant de décor quasi-exclusif au film- pour faire de ce Private Property un régal de petit thriller dispensant un délectable sentiment de malaise. Une découverte.

JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS

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