« En tant que Bruxellois, comment te sens-tu un an après les attentats? » Cette question, une multitude de regards et de lèvres me l’ont posée, ces dernières semaines. Un seul mot me vient à l’esprit. Ma réponse tient en cinq lettres suivies d’un point d’exclamation: « VIVRE! »

Le 22 mars, à l’heure des drames, j’étais dans ma voiture en route vers le quartier Maelbeek. Je n’ai bien sûr jamais pu y accéder. Quelques jours plus tôt, je décollais pour la énième fois de l’aéroport de Zaventem pour donner un concert à l’étranger. Alors, ai-je été choqué par ce qui s’est passé 22 mars 2016? Bien sûr! Comment y être indifférent? Ces lieux nous sont trop fami- liers. Nous y voyons encore courir nos propres fantômes.

Bouleversé, donc, oui. Par contre, ai-je été surpris? (Malheureusement) non. J’avoue que pour apprendre et mettre en pratique la technique de l’autruche, je n’ai jamais été très bon élève. Pour être honnête, je me demandais même en secret quand « notre tour » viendrait. Nous sommes quotidiennement noyés d’images de conflits qui se déroulent sur la scène internationale. Nous avons été témoins des nombreux attentats en « terres étrangères ». Peut-on raisonnablement imaginer que de tels malheurs n’arrivent qu’aux autres ? Alors oui, je m’attendais à ce que nous subissions tôt ou tard les conséquences des conflits internationaux et à ce qu’ils s’exportent un jour ou l’autre sur nos « terres ».

C’est arrivé! Il y a d’ailleurs de fortes chances que ça arrive encore, nous le savons pertinemment! Désormais, la vraie question est: « Comment réagir? » Il est impératif de combattre les « causes » de ces problèmes (politique internationale, intégration sociale, reconsidérer la question spirituelle au sens essentiel et profond du terme, etc.), c’est évident. Mais il s’agit là de chantiers extrêmement longs et complexes! Combien de temps? Cinq ans? Dix ans? Quelques générations? En attendant, que fait-on?

Les Bruxellois ont été frappés dans leur intimité. Une atmosphère de deuil, de tristesse et d’angoisse a régné durant les premières semaines qui ont suivi les attentats. Un étrange silence a pris en otage tous ces lieux habituellement si bruyants. Les gens se déshabillaient mutuellement du regard. Comme si chaque personne était malgré elle reliée à un détonateur invisible. Des guirlandes de soldats et de véhicules militaires se sont mis à orner les rues. Au début, on ne voyait qu’eux. Après quelques semaines, on ne les voyait plus…

Puis, peu à peu, un réflexe naturel s’est emparé de Bruxelles. L' »envie de vivre » a progressivement repris ses droits. Elle a apprivoisé les spectres de l’angoisse qui planent sinueusement au-dessus de nos têtes pour les enfermer dans les cages de l’indifférence. Les Bruxellois se sont simplement accordés le droit d' »oublier »… pour se remettre à vivre « normalement ».

Aujourd’hui, les séquelles sont bien présentes (chute de chiffres d’affaires de commerces dans le centre-ville, victimes des attentats lâchement abandonnées par leurs assurances…). Si les « spectres de l’angoisse » logent bel et bien dans leurs cages, ces cages n’ont pas été déposées très loin de nous, et leurs barreaux ne sont pas très solides. Nous les entendons respirer. Nous savons qu’ils peuvent ressurgir à tout instant. Nous gardons donc un oeil dessus, en permanence…

J’ai modestement accepté cette tribune, sachant d’avance que je n’aurais rien d’extraordinaire à raconter. Je ne suis qu’un artiste, un Bruxellois lambda, qui compte parmi ses proches d’autres Bruxellois lambda de différentes classes sociales, origines, communautés. J’en sais suffisamment sur chacune d’elles pour ne pas succomber aux tentations de l’amalgame. Je n’ai pas la prétention de comprendre ce qui se passe, de cerner en profondeur les enjeux économiques et politiques nationaux, encore moins mondiaux. J’ai cependant des yeux, des oreilles et une intuition. Cela me permet de constater l’évidence: il existe un série de forces en présence, qui s’affrontent, et sur lesquelles nous n’avons que peu de prises. Certaines d’entre elles semblent avoir intérêt à nous diviser, pour différentes raisons. Je vois certaines personnes prêtes à jouer le jeu de cette division, ici à Bruxelles. J’ai envie de croire qu’il ne s’agit que d’une minorité.

Le contexte général laisse présager de sombres heures, peut-être. Mais de l’obscurité jaillit souvent aussi la plus belle des lumières, les plus beaux mouvements de solidarité. J’ai envie d’y croire… juste parce que l’idée me plaît! Notre vie n’a de sens que celui qu’on lui donne.

Lorsque les vents du changement se lèvent, certains construisent des murs. J’ai envie de croire qu’à Bruxelles, nous construirons des moulins à vent!

Taulier du rap bruxellois, rimeur incorruptible de la scène hip-hop belge, Scylla sortira son prochain album le 31 mars.

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