Sally Potter: « Parfois, manifester ne suffit pas… »

Sous le vernis mondain, les basses compromissions des uns et des autres. © DR
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Avec The Party, Sally Potter signe un huis clos jouissif, passant les moeurs politiques britanniques au crible d’une écriture acérée et enlevée. Rencontre.

Révélée en 1992 par son adaptation du Orlando de Virginia Woolf avec Tilda Swinton dans le rôle-titre, Sally Potter a maintenu par la suite un cap exigeant et passionnant, la cinéaste anglaise alignant (au compte-gouttes) des films aussi audacieux que The Tango Lesson, The Man Who Cried ou, plus récemment, Ginger & Rosa. Découvert en février dernier à la Berlinale, The Party, son huitième long métrage, vient démontrer que la réalisatrice n’a rien perdu de son mordant, huis clos passant la classe politique britannique au crible d’une écriture acérée et enjouée. Autant dire que le film arrive à son heure dans le paysage du Brexit, et cela, même si l’écriture en avait débuté deux ans plus tôt. « J’ai commencé à écrire le scénario pendant la campagne des élections générales britanniques de 2015, commence Sally Potter. La situation était sans commune mesure avec celle que l’on a connue par la suite, même si tout était déjà présent, de façon souterraine. Trump, le Brexit, la montée de la droite ne sont pas sortis de nulle part. Je devais donc avoir ça à l’esprit, même si, en plus d’énoncer une vérité politique, ma motivation était de créer un divertissement, pour que les gens aient l’opportunité de rire au bord de la tragédie.« 

Résolument britannique, tant par sa texture que son contexte -« le film parle sans la moindre hésitation de sujets anglais, comme les services de santé, la politique de la santé, mais aussi la santé de la politique, à travers des personnages qui y sont impliqués »-, The Party touche aussi à quelque chose de plus vaste. C’est en effet la comédie humaine qui se donne à voir pendant les 70 petites minutes que dure ce huis clos incisif, modèle d’écriture millimétrée. « L’un des défis qui se posait était de faire avancer les sept protagonistes de la même manière, de sorte que l’on comprenne ce par quoi passe chacun d’entre eux. J’ai voulu me montrer tout à la fois critique et compatissante: il n’y a pas de bons ou de mauvais personnages, chacun est un mélange de ces choses que nous découvrons à différents moments. Et je tenais à les observer à l’instant même où ils changent, quand une crise révèle aux autres qu’ils ne sont pas ceux qu’ils croyaient. » Travail d’équilibriste qui fait aussi le prix d’un film résolument grinçant. Une sorte de Carnage ayant fait l’économie de l’hystérie, mais guère moins assassin en définitive -il n’est par exemple pas une réplique de l’excellente Patricia Clarkson qui ne fasse mouche.

Kristin Scott Thomas dans The Party.
Kristin Scott Thomas dans The Party.© DR

Combat de longue haleine

Si les dialogues crépitent, le film raconte aussi les compromissions et, partant, une certaine amertume. Et le féminisme affirmé y apparaît assurément moins flamboyant qu’il ne pouvait l’être à l’époque d’Orlando, encore que Sally Potter se défende d’un quelconque scepticisme. « Mais c’est un combat de longue haleine, soupèse-t-elle. La différence, c’est qu’à l’époque où j’ai tourné Orlando, voici 25 ans, les débuts du mouvement de libération des femmes étaient encore proches. Pendant ces 25 ans, on a connu des retours de bâton, de la malveillance, des menaces de mort, les choses les plus horribles, et pas seulement à l’égard des femmes mais aussi de tous ceux, gens de couleur et autres, qui se battent pour leur émancipation. Je n’éprouve pas d’amertume, mais au début du mouvement, il y avait l’espoir que tout ne serait que douceur, lumière et positif dans le futur, ce qui a été démenti par les faits. Tous les mouvements politiques suscitent des espoirs qui ne sont pas toujours rencontrés. Nous avons été un million à défiler en Grande-Bretagne contre l’invasion de l’Irak, et ça n’a pas empêché qu’elle se produise. Parfois, manifester ne suffit pas… » Pour autant, Sally Potter n’est pas du genre à se décourager, elle qui considère avoir une responsabilité accrue dans un contexte toujours plus incertain: « J’ai participé à ma première manifestation -contre le nucléaire- à l’âge de onze ans, et depuis, je n’ai jamais arrêté. Face à une crise de l’ampleur de celle que nous connaissons, on ne peut que se demander comment agir, chacun en fonction de ses capacités. Que puis-je apporter au monde pour contribuer à le rendre meilleur? Un film en lui-même ne va pas changer le monde, mais on peut nourrir une ambition plus modeste. À titre d’exemple, le rire me paraît important parce qu’il rend les gens plus forts, il agit comme un médicament. » Démonstration avec The Party, film lucide et drôle ayant, l’air de rien, le don de dessiller…

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