Cantique mécanique

© AFRICAN FLAG © MARCEL BERLANGER
Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

AUX ABATTOIRS DE BOMEL, YVES DEPELSENAIRE NOUE UNE CONVERSATION PLASTIQUE ENTRE MARCEL BERLANGER ET EVARISTE RICHER. UN DIALOGUE FÉCOND.

One + One +

MARCEL BERLANGER ET EVARISTE RICHTER, CENTRE CULTUREL DE NAMUR, 18 TRAVERSE DES MUSES, À 5 000 NAMUR. JUSQU’AU 25/03.

9

Dans La Peste, Albert Camus décrit le fléau qui s’abat sur Oran. Le héros du livre, le docteur Rieux, est en proie à une causalité aveugle qui le dépasse de toute part. Face à cet infiniment petit dont il ignore les logiques, il choisit de « bien faire son métier » de médecin, écartant de lui l’incertitude par le biais d’une phrase qui fait sens dans le contexte de One + One +: « Le reste tenait à des fils et à des mouvements insignifiants, on ne pouvait s’y arrêter. » Ces « fils » et ces « mouvements insignifiants » sont précisément ce sur quoi se figent les deux plasticiens qui ne se connaissaient pas avant de se voir réunis par une lumineuse intuition du commissaire Yves Depelsenaire. Faut-il comprendre qu’ils ont décidé de… « bien faire leur métier » d’artistes contemporains en nous faisant appréhender la réalité de façon singulière? Chez Richer, la confrontation avec les mécanismes aléatoires est une marque de fabrique. L’homme est de ceux qui se mettent en position d’observation. Il traque le rayon vert, les aurores boréales, car « tout ce qui tombe du ciel constelle mon avancée« . Cet arrière-fond météorologique, immense, il le confronte à ce que l’homme invente pour en prendre la mesure: calculs, étalons et langages. Sa pratique se nourrit de la rencontre avec de nombreux scientifiques. Marcel Berlanger oeuvre dans un registre similaire. À travers l’image, lui aussi nous donne à voir « un peu plus ce que nous pouvons imaginer du réel« .

Un coup de dé

Ce sont deux oeuvres précises qui ont initié l’entrelacs présenté. Avalanche et Saule synthétisent le propos. Le saule pleureur de Marcel Berlanger surgit comme une précipitation végétale ayant en commun une dimension fractale avec Avalanche de Richer. Constituée de 70 000 dés disposés au sol, cette installation est une reproduction, traduite en six nuances de gris par le biais des différentes faces des petits cubes de bois, d’un torrent neigeux, le plus mortel d’entre eux, celui dit « en aérosol ». Cette déconstruction-reconstruction du phénomène interroge les théoriciens du chaos, ceux pour qui il serait possible de neutraliser l’événement en identifiant « le » flacon susceptible de tout déclencher. Mais elle interroge également le spectateur qui reste pantois devant une image qui apaise. Mise ainsi à plat, l’avalanche devient inoffensive, à taille humaine. Evariste Richer ne marque pas moins l’esprit avec La Grêle, un ensemble de clichés de particules de glace glanés sur Internet et reproduits sous forme de cyanotypes, ou avec Weather Report, graphiques colorés gravés dans le marbre inscrivant l’éphémère au coeur de la durée. Les éclats signés Marcel Berlanger sont au diapason. Qu’il s’agisse d’oeuvres de jeunesse –Fumées qui, lui aussi, capte l’instable- ou de ses toiles sur fibre de verre. On pense à African Flag, composition à l’acrylique figurant le feuillage d’un palmier qui recouvre une spirale verte projetée à l’aérographe. Le tout pour un effet de « tag tagué par une image » renversant les codes actuels. Tout aussi puissante est sa série d’Optotypes, tableaux peints à même les planches qui servent à mesurer l’acuité visuelle. À l’image de ces dispositifs, le travail de Berlanger nous dit où nous en sommes avec la vision.

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MICHEL VERLINDEN

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