Au nom de l’ordre et la morale

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Documentaire de Bruno Joucla et Romain Rosso.

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Le 11 avril 2013, à Berne, la conseillère fédérale suisse Simonetta Sommaruga demandait publiquement pardon pour « les souffrances infligées aux enfants retirés à leurs parents, victimes de placements forcés ou d’internements administratifs. »Au nom de l’ordre et de la morale raconte sans fards et avec une constante humanité l’histoire d’un secret collectif qui se lézarde. Dans les années 50-60, en Suisse, des dizaines de milliers de personnes -souvent jeunes adultes mais aussi des enfants, y compris en bas âge- ont été honteusement arrachées à leurs familles, incarcérées dans des institutions religieuses ou des prisons sans protection juridique, isolées de tous, alors qu’elles n’avaient commis aucune infraction. Aux yeux de l’État et de la justice, elles représentaient un danger pour la collectivité du simple fait qu’elles provenaient d’un milieu en rupture ou considéré comme immoral. Ces « fainéants », « oisifs », « délinquants » potentiels, sans distinction, étaient considérés comme des risques pour un modèle helvétique pétri de rectitude morale. Au coeur d’un système de délation, d’arbitraire et de contrôle, l’idée assumée que les gens pauvres doivent être dociles et discrets. Leur paresse ou leur ivrognerie, réelle ou supposée, était une raison suffisante pour une dénonciation et un placement incontestable en justice. Willy (la soixantaine aujourd’hui) a été arraché à deux ans à sa mère, divorcée d’un père adultère. Avec ses frères et soeur il a été placé dans une institution religieuse, battu par la mère supérieure, et son frère violé par le curé du coin. On en suit d’autres comme lui alors qu’ils accèdent à leurs dossiers épais, libèrent leur parole et leur vécu devant leurs concitoyens médusés. La Suisse n’a rien à envier à l’Irlande des Magdalene Sisters (film de Peter Mullan en 2002), à l’Allemagne de l’Est des époux Honecker, ou aux régimes qui poussent des enfants soldats vers la mort mais, dans un acte de courage rare, a assumé ses responsabilités. Au sortir de ce film beau à pleurer, une question: qui est le prochain?

N.B.

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