Après la guerre

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La chanteuse folk à la vie chaotique compose un album sur les traumatismes des guerres US avec ceux-là même qui les ont vécus. Fort.

En 2016, une étude du Department of Veteran Affairs américain dénombre 22 suicides par jour chez les anciens combattants US. Statistique non-célibataire: l’ONG Wounded Warriors comptabilise pas moins d’un cas sur cinq militaires de retour du front souffrant de stress post-traumatique, c’est-à-dire l’impossibilité psychique de revenir à la supposée normalité de la vie civile. Il fallait quelqu’un de la trempe de Mary Gauthier pour se synchroniser à pareil tableau de douleurs, souvent indicibles au monde extérieur. En cause, la bio perso de cette chanteuse née à La Nouvelle-Orléans en 1962: abandonnée enfant dans un orphelinat, adoptée, fugueuse à quinze ans, puis accro aux drogues/alcool qu’elle quitte en 1990. Vie sauvageonne domptée en une dizaine d’albums avant celui-ci, réalisé en collaboration intime avec Songwriting With Soldiers, organisation qui, depuis 2012, propose aux anciens militaires de combattre le trauma via l’écriture de chansons.

Après la guerre

Mines dans le salon

Brillante idée qui donne d’emblée aux onze morceaux une assise où la préoccupation stylistique/poétique n’entame jamais la chape réaliste. Chape de plomb parce que les histoires croisées sont, pour la plupart, celles d’une foi patriotique: ils/elles ont cru en la guerre, à la nécessité de leur présence au front, à une forme d’éthique militaire supérieure aux risques. Pensées salies, dégradées, broyées par l’Irak, l’Afghanistan et les autres champs de batailles, au fil d’un temps qui, pour la plupart, incarne désormais un cumulus d’angoisses au quotidien. Le ton est donné dès Soldiering On, le premier titre où Gauthier chante:  » I was bound to something bigger, more important than a human life (…) What saves you in the battle/Can kill you at home. » La vie de retour est comme piégée à l’intérieur des maisons: « There’s landmines in the living room  » ( The War After the War). La souffrance des revenants des guerres est une épidémie contagieuse qui vampirise d’abord la famille où le partenaire reste le premier rempart contre l’insanité: c’est It’s Her Love où sur une brassée d’harmonica et violon, Gauthier raconte un soldat secouru par l’amour ultime de sa femme. La voix dessine des sentiments boisés pareillement amenés par les arrangements folk-rock d’une totale justesse. Partageant ici un autre sujet peu traité en chanson, le sort des femmes-soldats menant aussi la guerre du harcèlement sexuel des frères d’armes ( Iraq, Brothers). Mais ces traces de regrets et d’amertume, loin de plomber l’humeur, sonnent comme une possibilité de rédemption face à l’indifférence et l’incompréhension de ceux restés au pays. Une proposition d’empathie qui touche.

Mary Gauthier

« Rifles & Rosary Beads »

Distribué par V2 Records.

8

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