Acide gras

Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

Les BD sur la BD n’avaient pas encore exploré le pastiche un peu gras. Le très doué Emmanuel Reuzé s’y est collé. Sfar et McCloud ne s’en sont pas remis.

L’Art du 9e art

de Emmanuel Reuzé, Éditions Fluide Glacial, 128 pages.

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L’art séquentiel narratif, et les théories et théoriciens qui l’entourent, ça peut aussi être rigolo. On ne sait pas, par contre, si Scott McCloud, le célèbre auteur du non moins célèbre L’Art Invisible, paru en 1993, a ri à la lecture de L’Art du 9e Art, fraîchement sorti. Emmanuel Reuzé y convoque en effet l’avatar qu’il avait inventé dans ce classique pour assurer la narration de sa propre BD qui causera de BD. Sauf que, dès la page 5, l’avatar en question précise: « Désolé, on me dit que mon personnage est sous contrat avec un autre éditeur. Je vais devoir partir. » Et le voilà remplacé par l’avatar de son cousin, Scott McCrawd, lui aussi grand spécialiste BD, mais ventru, bourré, un rien vulgaire, et en quête, tout au long de ce vrai-faux ouvrage sur la bande dessinée, de femmes à poil -qu’il obtiendra page 64, entre le chapitre « Les adaptations à succès » et « Bédé et Arnaques » que l’avatar de Reuzé entame ainsi: « Si là, ça ne vend pas, moi je fais professeur d’arts plastiques. » On ne lui souhaite pas, même s’il en a les capacités, à voir la palette de styles graphiques qu’il dégaine ici pour dégommer les collègues, et toute la profession.

Tout et tout le monde

L’Art du 9e Art passe donc en revue, mais à sa manière, tous les angles de vue sur la bande dessinée: « La BD à travers les âges », « Les remakes qui cartonnent », « Les critiques », « Les lecteurs », « Les iconoclastes »… Des chapitres parfois trop distincts, au sein desquels on a préféré « Étude de style », dans lequel Reuzé résume un genre en une planche, en interpellant directeur le lecteur/créateur. Lequel pourra y apprendre, facile, la nouvelle bande dessinée -« Pour ton héros, tu te fais pas chier, mec. Tu décalques un dessin de Blutch, t’es sûr que ça sera bon. Tu modifies juste la coiffure pour que ça se voit pas trop »-, l’heroic fantasy -« Pour le dessin, tu te fais pas chier, tu pompes sur ce qui se fait déjà, comme ils copient tous les uns sur les autres, ça se verra pas »– ou l’autobio de gonzesse -« Le dessin, c’est super fastoche, fais ton portrait un peu comme à la maternelle mais avec des traits plus ronds pour que ça soit joli.« . Et ainsi, d’hommages appuyés (parfois lourdement) en références (parfois graveleuses), Reuzé parle de tout, et brocarde tout le monde, de Hergé et du corps de Tintin « prostitué à l’universel » à Joann Sfar, moqué toutes les deux pages. Bref, de l’humour en BD pour amateurs de BD, qui fonctionnait très bien quand il était publié périodiquement dans Fluide Glacial, mais qui s’avère un peu moins digeste quand le tout est ainsi réuni. Il nous reste à relire la planche où on peut apprendre, aussi, à être critique de BD: « Tu t’en fous de savoir comment qu’on fait. Si t’as aucun jugement, c’est le top! Comme ça, tu te rendras pas compte que tes propres critiques sont mauvaises! »

OLIVIER VAN VAERENBERGH

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