Yan Lindingre nous parle du 500e Fluide Glacial

Yan Lindingre, rédacteur en chef de Fluide Glacial, "le magazine d'umour et bandessinées". © M. Royer
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

Le journal « d’umour & bandessinées » vient de publier son 500e numéro. Un petit exploit dans un monde où la presse va mal et où l’humour ne fait plus rire tout le monde. Petite causerie au coin du gag avec son rédac’ chef, Yan Lindingre.

« Comme dit Vuillemin, on peut rire de tout, du moment que c’est drôle. » Cinq ans déjà que le dessinateur Yan Lindingre a pris les rennes de Fluide Glacial, « le magazine d’umour et bandessinées » fondé en 1975 par Gotlib, et qu’il tente d’en garder le cap. Un humour clairement plus adulte que dans les Spirou, Tintin et Pilote de l’époque, mais aussi (un peu) moins pipi-caca ou provoc que ne l’étaient Hara-Kiri ou L’Écho des Savanes, et continuellement obligé de se réinventer pour perdurer. Et si les plus de 100.000 exemplaires vendus chaque mois de la grande époque sont loin, les ventes sont aujourd’hui stabilisées. « On tourne autour des 40.000 exemplaires par mois, avec des pics à 60.000 en été, dont environ 18.000 abonnés, résume ainsi Lindingre, mais surtout, nous avons une économie sur deux jambes, l’une via le magazine, l’autre via nos albums qui, eux, ont enfin retrouvé une place dans les librairies. Fluide, c’est un catalogue de plus de 400 titres mais on n’en trouvait plus aucun! Avec Bamboo, on a recommencé à vendre des bouquins. »

Yan Lindingre nous parle du 500e Fluide Glacial

Le dernier événement dans la longue vie de Fluide en a en effet surpris plus d’un il y a quinze mois: les éditions Bamboo, spécialistes d’une BD très populaire et grand public, à l’autre bout du spectre de l’humour, rachetait les éditions AUDIE, donc Fluide Glacial, aux éditions Flammarion. Un rachat qui laissait craindre la mort lente de l’humour irrévérencieux, adulte et libertaire du magazine. Rien de tout ça aujourd’hui, rassure Lindingre: « On reste maître de notre outil. On se parle très franchement, ça fait parfois des étincelles, et je dois parfois me battre pour défendre certaines planches, récemment des gamins qui se faisaient bousculer par des curés, mais les choses sont claires. Olivier Sulpice n’a pas racheté Fluide pour faire un deuxième Bamboo. » Et ce, même si on constate à la lecture du 500e numéro un commencement de porosité, avec des auteurs classés Bamboo s’y offrant pour la première fois quelques planches? « Pour ce numéro, effectivement, on ouvre un peu la porte, comme c’est de tradition un peu partout sur des numéros anniversaire. Ça fait partie du jeu. »

Éclectisme et nonsense

Yan Lindingre nous parle du 500e Fluide Glacial

Un jeu donc, bien résumé par les deux sorties Glacial du mois: d’un côté, ce 500e numéro double et fidèle à lui-même -tout en fêtant l’événement, un type se retire un serpent du cul dans les planches de Besseron et Felder, Édika fait de l’Édika, Oncle Gilbert fait des bonnes blagues vintage, Gai-Luron poursuit sa nouvelle vie, Salch s’offre les pages les plus drôles et les plus méchantes, et ce en accueillant largement une nouvelle génération dans un panel déjà renouvelé via Geoffroy Monde, Moog, Erwann Surcouf, Karabulut ou Zoé Thouron. De l’autre, un beau gros livre consacré cette fois aux pionniers de la bande à Fluide et aux premières années du magazine, avec des republications et des noms autrement plus ronflants: Gotlib, Bretécher, Franquin, Moebius, Druillet, Binet, Goossens, Solé, Alexis, Cabu, Spiegelman… Un âge d’or probablement révolu, mais qui aura donné l’incontournable « la » de l’umour tel qu’on espère le trouver dans Fluide: « L’humour de Gotlib, nourri au magazine MAD, chez les Monty Python, au nonsense… Une terre d’accueil pour les humours décalés, barrés, pointus, parfois régressifs, parfois très perchés, mais qui amènent tous un autre parfum. Une école de l’éclectisme et de l’humour sous toutes ses formes. Chez nous, des gens comme Jimenez, Goossens, édika ou Binet cohabitent, et ne sont jamais des pâles copies de l’autre. On a peut-être juste plus de filles aujourd’hui, mais qui ne font pas des BD « de filles »! »

Reste qu’on ne rigole plus, du tout, en 2018 comme on pouvait se marrer en 1975. L’ère du terrorisme, des réseaux sociaux et du politiquement trop correct a remplacé les effluves libertaires de Mai 68. « Non, ce n’est pas le moment où la France rigole le plus, confirme le rédacteur en chef. Mais en tant que journal d’humour transgressif, nous sommes encore plus nécessaires, même si on se distingue de Charlie Hebdo. Charlie parle d’actu, d’actu brûlante, Fluide en parle de manière très dégagée, par la BD, pas par le dessin de presse. Et nous sommes tellement connotés débiles mentaux que même si on faisait quelque chose de politiquement provocant, ça passerait inaperçu! Et nous ne sommes pas sur ce terrain-là parce que nos lecteurs ne nous reconnaîtraient pas. Chaque fois qu’on s’est approchés de la politique, de près ou de loin, on s’est rétamés. La personne qui nous achète, c’est pour oublier le brouhaha. Par contre, on ne s’interdit aucun sujet. L’exemple de Dieudonné est intéressant pour essayer de définir nos limites aujourd’hui: on peut rire de tout, mais ça devient un problème quand on rigole toujours de la même chose. Ce n’est plus de l’humour, c’est de l’obsession. Publier un truc tendancieux sur les curés, les mollahs, les pédophiles, ça se justifie une ou deux fois tous les deux ans. Tous les mois, ça poserait problème. De toute façon, là où je m’arrête c’est: est-ce que cette histoire est drôle? Assez drôle pour que je me bagarre pour elle jusqu’à la mort? Si c’est le cas, on y va! »

Fluide Glacial, n°500, collectif, 180 pages. ***

Les Pionniers, les années 70 de Fluide Glacial. Ouvrage collectif, éditions Fluide Glacial, 224 pages. ****

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