Un jour sans fin

Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

Huit albums, huit reboots, douze auteurs: avec Infinity 8, Lewis Trondheim s’offre à la fois une dream team et un space opéra burlesque et collectif, comme il les aime.

L’aventure a démarré en octobre dernier, sous forme de brefs comics. Elle continue ce mois-ci, cette fois avec la sortie du troisième album de Infinity 8, regroupant, sauf erreur, les comics 13 à 18. Et des albums, la série (qui n’en est pas vraiment une) en comptera huit au terme de l’aventure, et de ce voyage spatio-temporel vers Andromède, coincé à la fois au beau milieu d’une nécropole spatiale et dans une boucle temporelle, qui se recharge huit fois, toutes les huit heures. Dit (beaucoup) plus simplement: Lewis Trondheim s’est offert sa version d’Un jour sans fin, le classique de Harold Ramis avec Bill Murray, mais cette fois dans l’espace, et a confié à une douzaine d’amis (Zep, Vatine, Dominique Bertail, Velhmann, Killofer…) le soin de raconter huit boucles, en huit albums. Lesquels, donc, existent aussi sous forme de comics, dernier hommage aux Strange, Titans, et autres titres SF de Marvel ou DC que le prolifique scénariste a voulu rendre avec cette nouvelle série, très drôle, très concept mais aussi particulièrement dans l’air du temps.

« Quand Lewis Trondheim et Olivier Vatine m’ont sollicité, je sortais de Ghost Money, un polar très précis, en raccord avec le réel, sur lequel j’ai travaillé dur pendant sept ans« , nous expliquait ainsi Dominique Bertail, au dessin du premier album de la série, avec Zep au co-scénario. « Ça tombait donc très bien: j’avais besoin de délier tous les noeuds, de m’amuser, d’aller vite. De faire le livre pour ados que j’aurais aimé lire ado! Les scénaristes ne fournissaient que très peu d’informations graphiques malgré la richesse de l’univers et les dizaines de races à inventer. Lewis m’a juste dit qu’il voyait quelque chose entre du pulp et de la SF rétro. Une vraie récréation, même si Lewis a toujours une idée en tête par rapport à notre époque. Sans ça, la SF n’a aucun intérêt. »

Le prétexte, donc, qui se répète à chaque album: le vaisseau Infinity se retrouve coincé en plein vol spatial par une nécropole de la taille d’une galaxie. Et la belle Emma, hôtesse de l’air, agent très spécial et fil rouge de l’ensemble, va devoir l’explorer, et surtout découvrir qui a commis un tel massacre et pourquoi. Or, « Le capitaine est un Tonn Shar. Il peut suivre une trame temporelle, et au bout de huit heures révolues, et pas avant, décider de poursuivre ou de remonter les huit heures écoulées pour recommencer. Et il peut faire ça jusqu’à huit fois de suite. » D’évidence, il va le faire au vu des sorties déjà annoncées, avec chaque fois suffisamment de liberté pour que chaque auteur ou duo chargé d’une boucle y trouve sa place, et sa marque. « On a tous travaillé dans notre coin, continue Dominique Bertail, mais on se partageait un bloc privé pour voir les travaux des autres. Ça nourrit la création, mais ça met surtout de bons coups de pieds au cul quand tu vois ce qu’inventent les autres! Ça réveille… Et puis on imagine une créature, un autre la récupère, un autre la réinterprète… Ça a permis de construire une homogénéité globale. » Un univers homogène qui n’empêche pas une grande diversité de tons et d’ambiances: si Dominique Bertail s’amuse gentiment avec des amours nécrophages et une jubilatoire caricature de Killofer dans le premier volume, Olivier Vatine y va plus franchement dans le mauvais goût propre aux pulp en inventant un nouveau Reich rebâti sur la tête à Hitler…

À chaque volume, la petite musique s’avère donc différente (voir ci-contre en ce qui concerne la dernière sortie), mais s’inscrit de fait dans un seul et même projet aux frontières des Donjon, Atelier Mastodonte et autres laboratoires collectifs dont Trondheim est friand, mais ses employeurs également. Infinity 8 offre en effet à son éditeur une dream team d’auteurs et des sorties dont la périodicité, la rapidité et la quasi-omniprésence sont garanties, comme Lastman l’a fait chez Casterman. Une « Marvelisation » de la bande dessinée franco-belge, qui n’empêche pas d’être enthousiaste et créatif. La preuve par 8.

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