Critique | Livres

Spirou vers la modernité

Le dernier album de Serge Clerc n’est pas une BD, mais un parfait résumé du chemin parcouru par le 9e Art.

Spirou vers la modernité de Serge Clerc, éditions Dupuis. ***

La bande dessinée de papa, ou de papy, a décidément bien changé, et pourtant, on ne fait qu’y revenir… Les éditions Dupuis, qui ont édité les plus belles pages de la bande dessinée belge pour enfants, publient aujourd’hui des livres qui, comme ce Spirou vers la modernité, s’adressent aux esthètes plus qu’aux familles. Dans ce « beau livre » de Serge Clerc, on découvre une trentaine de dessins originaux -ne lui dites surtout pas « cases », ou « illustrations »- et des dizaines de croquis, ébauches, et recherches purement graphiques. Un livre d’art donc -osons le mot- qui semble bien loin d’un bon vieux 44 planches à gags. Et pourtant, comme son nom l’indique, on y trouve les mêmes noms, et les mêmes références: Jijé, Franquin, Will, l’école belge, et les mêmes figures désormais historiques, Spirou en tête… Serge Clerc a en réalité résumé en un livre et en un geste d’artiste le parcours effectué en 70 ans par la bande dessinée, franco-belge en particulier, pour nombre d’amateurs: « La BD, c’est de l’art. Ce n’est pas un art inférieur. Hergé est un génie à l’endroit où il est, Franquin est un maître. Et ces références me servent, comme à d’autres, à de pures recherches graphiques, formelles, qui ont plus à voir avec la peinture qu’avec la « simple » bande dessinée. »

Hergé perverti

Le parcours de Serge Clerc est exemplaire de ce point de vue: une enfance nourrie aux BD de l’école de Marcinelle, mais une adolescence bouleversée par Crumb et les indés US, les seuls à l’époque à user de la BD pour s’adresser à des adultes. Viendront alors « Métal Hurlant », ses premières planches et ses rencontres avec Philippe Manoeuvre, Dionnet, la scène punk-rock et surtout Yves Chaland. C’était à un concert des Stranglers. Les 2 dessinateurs, français, vouent le même culte aux auteurs belges de leur enfance, et entameront leur quête ensemble: « Trouver le délié parfait. Retrouver le fouetté de Jijé, la limpidité du trait de Franquin, la simplicité de Hergé, mais en les pervertissant un peu, en les faisant désormais évoluer dans des contextes plus adultes. Ça n’a jamais été une réaction, pas même un hommage. Mais une source d’inspiration. » Cette recherche esthétique, menée par ailleurs par Joost Swarte en Hollande ou Ever Meulen à Bruxelles, donnera naissance à ces fameuses « Ligne Claire » et « Style Atome » que l’on célèbre désormais comme de « vrais » courants artistiques, certes dans des cercles encore trop restreints pour Serge Clerc: « Avec plus de 5000 albums par an, la BD d’auteur est forcément noyée dans la masse. Trop de choses tuent la chose. »

Son livre d’images, typique du principe de « revisitation » cher à ses pairs, confronte donc le personnage de Spirou à des contextes modernes et modernistes, et à des artistes comme Calder, Nogushi, Jean Prouvé, Giacometti ou Miro. Le livre avait logiquement donné naissance à une exposition, à la galerie Champaka, occasion de cette rencontre. En la parcourant avec lui, on a moins évoqué Spirou et Spip que des questions de couleurs directes, de masses, d’éclairage, de repentir et de déliés. Les lecteurs de ce Spirou tout à fait particulier savent donc à quoi s’attendre: ceci n’est pas de la BD, comme aurait dit Magritte.

O.V.V.

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