Critique | Livres

Sherman: la mort aux trousses

THRILLER | Sixième et dernier volet de cette saga à la sauce thriller relatant les déboires d’un banquier américain rattrapé par son passé. Pas un chef-d’oeuvre mais un bon divertissement quand même.

Sherman (T6), de Stephen Desberg et Griffo, édition Le Lombard. ***

Qui a dit que la BD franco-belge avait épuisé toute sa salive? Pas Stephen Desberg qui tente vaillamment, à la manière d’un Van Hamme, de rallumer la flamme à coups de séries dopées aux amphétamines hollywoodiennes. Fort de son double pedigree belgo-américain, cet adepte du réalisme repeint la façade craquelée du manoir aux couleurs vives des histoires de l’Oncle Sam. Ses sagas I.R.$, Tosca ou Black OP lorgnent ainsi avec insistance du côté des blockbusters battant pavillon étoilé, façon Jason Bourne ou Mission: Impossible. Si elles en ont la niaque, les muscles et le souffle, elles en ont aussi parfois la lourdeur et les tics.

Mais le savoir-faire est indéniable, que l’on retrouve d’ailleurs dans la dernière grosse production en date du scénariste, associé pour l’occasion à Griffo. Plus qu’à un film, c’est à une série télé que cette fresque aux accents mythologiques fait penser. Si Spielberg tombe dessus, il y a fort à parier qu’il sorte illico le chéquier et rameute quelques gros bras du scénario pour mettre tout ça en images. Comment le réalisateur de La liste de Schindler pourrait-il résister au portrait flamboyant de ce riche banquier new-yorkais subitement rattrapé par son passé trouble, remuant au passage les alluvions de l’Histoire?

Mauvaises fréquentations

Le sixième et dernier tome, sous-titré Le pardon. Jeannie, vient de paraître. On va enfin savoir qui tente de briser la success story de ce fils de clochard devenu un personnage en vue dans cette Amérique des années 50. Tout commence dans le tome 1 avec l’assassinat de son fils Robert, candidat à la présidentielle, et un message le menaçant de le ruiner et de s’en prendre aussi à sa fille, Jeannie, dont il est sans nouvelle depuis la fin de la guerre. « Tout se paye ici-bas », lui crie une voix au téléphone, comme pour l’obliger à fouiller sa mémoire. Et voilà notre héros, épaulé par le vieux flic qui l’a sorti de la rue et flanqué d’un ange gardien au brushing impeccable, lancé dans une course contre la montre. Tenu en haleine, le lecteur reconstruit le puzzle au fil des épisodes et des avancées entremêlées de l’enquête et des souvenirs de la longue route semée d’embûches vers les sommets. Sherman n’est pas un ange. Dans son sillage, il a laissé de nombreux ennemis qui auraient de bonnes raisons de lui faire la peau. Paie-t-il ses magouilles avec les frères Dole, mafieux notoires? Sa liaison avec la femme de son rival Sterling? Ou sa collaboration avec les nazis via le financement des usines qui produisaient le funeste zyklon B utilisé par le Reich pour gazer les Juifs? Un à un, les fantômes sortent du placard. Et font des coupables tout désignés de cette machination jusqu’à ce qu’un rebondissement rebatte les cartes.

Parfaitement huilée, avec ses cliffhangers savamment distillés, ses tons identifiant chaque époque, son format thriller et jusqu’à ses couvertures crayonnées dévoilées dès le début, l’entreprise se révèle vite addictive. Sans pour autant emporter complètement l’adhésion. La faute à ce côté un peu trop appliqué. Comme si les auteurs, pour compenser la complexité du scénario, avaient prévu des coussins brodés au mélo pour amortir le choc plutôt que de lâcher la bride. Reste le plaisir coupable de se laisser embarquer dans les plis et replis d’une aventure qui ne manque pas de coffre et dont l’issue, forcément, réservera une ultime pirouette. Comme dans les meilleures séries télé…

Laurent Raphaël

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