Critique | Livres

Sergio De La Pava, une singulière singularité

Sergio De La Pava © Sarah Lee
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

ROMAN | D’abord auto-édité, ce premier roman monstre plongeant dans les méandres de la justice new-yorkaise fait désormais l’événement en français.

Il y a d’abord le parcours du roman, totalement atypique, presque autant que son contenu: Sergio De La Pava, avocat new-yorkais d’origine colombienne, a d’abord auto-édité Une singularité nue, son énorme et premier roman. C’était en 2008, une poignée d’exemplaires publiés à ses frais, après 88 refus. Quatre ans plus tard et beaucoup de bouche-à-oreille, les presses de l’Université de Chicago rééditaient la bête, transformant l’essai en succès national, et désormais international. La voilà donc en français, cette singularité nue dont beaucoup parlent et qui porte bien son nom: on n’avait plus lu pareil ouvrage depuis David Foster Wallace, le génie autiste en moins, le polar burlesque en plus. Une brique monumentale, labyrinthique, construite autour de 800 pages de digressions et un personnage principal -Casi, avocat new-yorkais d’origine colombienne, qui parcourt les arcanes de la justice pénale américaine comme personne, et comme jamais. Un critique américain a qualifié cette exigeante et inclassable singularité comme « le croisement entre Moby Dick et Police Academy ». Pas mieux.

Entre Tom Wolfe et The Wire

Sergio De La Pava, une singulière singularité

L’intrigue principale d’Une singularité nue? Elle ne le reste jamais vraiment, mais essayons. Casi, l’avocat-narrateur, végète comme commis d’office entre les « corps » -« Terme définitivement odieux utilisé par la chambre correctionnelle de NYC et autres membres du barreau pour désigner les prévenus criminels incarcérés« -jusqu’à envisager la proposition malhonnête d’un de ses collègues: profiter de leurs infos et de leur sens de la perfection, pouf pouf, pour organiser le casse du siècle, et en gros braquer la pègre. Une intrigue dont se contenteraient bien des collègues, mais qui n’est ici qu’un fil à peine rouge: De La Pava greffe autour de Casi cent autres personnages, autant d’histoires dramatiques, loufoques ou les deux, et encore plus de digressions, qu’il faut boire jusqu’à la lie avant de comprendre, et encore, si elles sont essentielles: un condamné à mort simple d’esprit et épileptique en Alabama, un type qui ne s’exprime qu’en vers, des étudiants en philo, un marchand de hot-dogs entré illégalement, un tueur obèse surnommé La Baleine (clin d’oeil à Melville, parmi cent autres), des informateurs qui ne savent plus eux-mêmes qui ils informent… une galerie stupéfiante d’avocats, de flics et de criminels tenant plus de L’Enfer de Dante que de The Wire. Sans oublier un lancinant mal d’oreille, une Télévision dont la majuscule insiste sur l’importance, un peu d’astronomie, beaucoup de pop culture et, de temps en temps, une recette de cuisine. Mille pistes narratives, une bonne dizaine de romans dans le roman et, au final, un tableau baroque et hallucinatoire de la justice new-yorkaise, digne de Tom Wolfe et de son Bûcher des Vanités, l’autre référence souvent citée de cette singularité enthousiasmante, mais demandeuse de temps et de concentration pour ne pas s’y perdre.

DE SERGIO DE LA PAVA, ÉDITIONS DU CHERCHE MIDI, TRADUIT DE L’AMÉRICAIN PAR CLARO, 844 PAGES. ***(*)

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