Richard Price: « Je déteste m’occuper de mes propres livres »

Richard Price © Philippe Matsas
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

L’auteur et scénariste américain Richard Price publie son premier roman depuis sept ans. Une plongée dans le quotidien et la psyché d’anciens flics new-yorkais. Brillant, profond et sombre, comme lui.

Richard Price a l’air fatigué ce matin à Paris. Non pas parce qu’il entame la longue promotion en France de son dernier roman The Whites, le premier depuis sept ans, mais bien parce qu’il vient d’en achever le scénario, pour son éventuelle adaptation au cinéma. « Et ce fut un cauchemar à écrire, je déteste m’occuper de mes propres livres. Mais c’était dans le contrat de base de mon éditeur, le roman et le scénario. C’est comme un dentiste qui doit arracher ses propres dents. Je leur avais dit de s’adresser à quelqu’un d’autre qui l’aurait fait plus vite et moins douloureusement. Mais ils ne m’ont pas écouté. Comme souvent. » Comme souvent en effet: Richard Price est le scénariste américain de films à succès, notamment La Couleur de l’argent, Mad Dog and Glory, Clockers ou La Rançon. Il est également l’un des scénaristes de la remarquable série The Wire, et même celui qui écrivit le script du clip Bad de Michael Jackson. Mais Richard Price, né dans le Bronx, habitant à Harlem et New-Yorkais à vie, considère toujours, voire plus que jamais, Hollywood comme son « deuxième boulot ». Presque 40 ans après son premier roman noir Les Seigneurs, lui aussi adapté, l’un des meilleurs écrivains de l’Amérique urbaine n’a plus ni illusion, ni langue de bois.

La première chose que l’on se dit en refermant The Whites, c’est que vous n’auriez pas pu l’écrire plus tôt. C’est autant un roman policier qu’un livre sur la condition humaine…

Effectivement. Quand j’ai commencé, j’avais sans doute un peu de talent et une certaine habileté, mais je n’avais aucune expérience, j’étais un bébé. J’avais peu de choses à dire sur le sens de la vie. Là, j’ai 66 ans, et même s’il m’en faudrait 400 pour faire le tour de la question, je me suis marié, j’ai eu des enfants, j’ai ramassé… Je peux au moins essayer.

A la base, vous deviez l’éditer sous un autre nom de plume, pour la première fois. Pourquoi?

Je voulais écrire un « vrai » roman policier, très orthodoxe, vraiment fidèle au genre, avec ses restrictions: du suspense, un méchant, un héros, des secrets, une grosse révélation à la fin. Je pensais que tout ça me ferait écrire quelque chose de plus « étroit », réduit à ces enjeux. Mais ça n’a pas tourné ainsi. Je me suis rendu compte que je ne pouvais pas changer ce que je suis ou ma manière de faire. J’en suis donc revenu à mon nom, à ce dont je suis capable, et à ce qui me plaît dans les romans policiers: leur voix, leur atmosphère. De Chandler, on se souvient de l’image perverse qu’il a dressée de Los Angeles. De James Lee Burke, on retient les lieux, l’ambiance. Mais on ne se rappelle jamais ni du crime, ni de qui l’a commis. Jusqu’ici, par contre, je n’écrivais jamais sur des situations domestiques, mais je m’y intéresse beaucoup plus ici, parce que ça nourrit les personnages, ça explique qui ils sont et quels sont leurs choix. Nous sommes modelés par nos drames. Ça me rappelle le truc le plus con que j’ai entendu à Hollywood. Un gars d’une chaîne nationale qui se demandait pourquoi il y avait tant de conflits et de drames dans mon script. Mais parce que c’est un drame, idiot!

Mais vous continuez à travailler pour Hollywood…

C’est mon deuxième job. Tous les autres écrivains américains sont ou profs de lettres, ou journalistes, ou scénaristes. Mais j’essaie surtout de travailler pour la télévision câblée, plus libre, où tu ne dois pas inventer un cliffhanger toutes les quinze minutes à cause de la pub. De manière générale, ils savent reconnaître les histoires: « Celle-ci a un très bon potentiel, foutons-là en l’air! » Ecrire un script, c’est comme acheter un billet de loterie: tellement de choses t’échappent.

Vous avez quand même tiré quelques billets gagnants!

Non, au contraire, beaucoup de perdants! Vous n’avez aucune idée du nombre de scripts que j’ai pu écrire et dont vous n’entendrez jamais parler. Tout ce que j’en retiens: j’ai été payé. Après toutes ces années, j’ai appris à le faire sans trop d’état d’âme, du mieux possible, mais ce qui arrive ensuite, j’en ai plus rien à foutre. Si je m’en fais, je deviens fou.

On ne vous demandera donc pas votre avis sur votre nouvelle série, annoncée pour cet été sur HBO…

C’est une mini-série en huit épisodes, elle-même adaptée de Criminal Justice, une mini-série anglaise en quatre épisodes. On verra… Mais pour vous dire à quel point un scénariste dépend des autres: à l’origine, c’est James Gandolfini qui devait y jouer, il avait tourné le pilote, puis il est mort, et le projet a été enterré avec lui. Puis Robert De Niro a voulu le faire, ce qui aurait été sa première série et le plus gros contrat télé d’un acteur, on l’a donc réécrit pour lui. Mais six mois plus tard, il a préféré tourner dans une comédie romantique. Et maintenant, c’est John Turturro qui s’est emparé du projet et tournera dedans. Tout peut dépendre d’un acteur, d’un changement de régime dans le studio, de mille choses, mais jamais de vous. Tout le contraire du roman.

The Whites

Richard Price:

POLAR | Billy Graves était le flic le plus prometteur de sa brigade anti-criminalité, dans l’un des pires quartiers du Bronx. Aujourd’hui, 20 ans après avoir accidentellement tué un gamin, il n’est plus que le simple chef d’une équipe de nuit, espérant juste que le jour advienne plus rapidement que les cadavres. Sauf que parmi ceux-ci, les « whites » commencent à se multiplier: d’anciens suspects qui s’en étaient tirés blancs comme neige, d’où leur surnom, mais dont le souvenir hante à jamais le flic chargé de l’affaire. A chaque flic son « white » et ses propres démons. Des flics, des amis, régleraient-ils leurs comptes? Billy va creuser et devoir faire des choix, d’une profondeur rarement atteinte dans ce qui se présente comme un roman policier, mais qui se poursuit bien au-delà du genre. « Essayer d’écrire le meilleur roman policier possible, c’est juste essayer d’écrire le meilleur roman possible avec un crime dedans », nous expliquait Richard Price. Sept ans après Souvenez-vous de moi, publié comme les autres aux Presses de la Cité, The Whites incarne brillamment cette profession de foi.

DE RICHARD PRICE, ÉDITIONS PRESSES DE LA CITÉ, TRADUIT DE L’ANGLAIS (USA) PAR JACQUES MARTINACHE, 415 PAGES. ****

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