Rentrée littéraire: le top 10 de la rédaction

Aurélien Bellanger © Hélie Gallimard
Laurent Raphaël
Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

De Aurélien Bellanger à Richard Powers, de Joy Sorman à David Foster Wallace, la littérature fait sa rentrée. Preview en 10 temps forts, nouvelles têtes, sorties poches…

1. La théorie de l’information

DE AURÉLIEN BELLANGER, GALLIMARD, 496 PAGES.

C’est un peu devenu une tradition. Chaque rentrée littéraire ou presque sécrète son phénomène, objet de toutes les attentions médiatiques et promesse de ventes à 4 voire 5 zéros. Frédéric Beigbeder, Jonathan Littell, Michel Houellebecq ou Jonathan Franzen ont eu droit à ce traitement de faveur. Cette année, tous les regards convergent vers Aurélien Bellanger, dont le premier roman (mais pas le premier livre, l’ex-doctorant en philo ayant déjà publié un essai sur… Michel Houellebecq) a donné des bouffées de chaleur aux critiques qui font la pluie et le beau temps à Paris. Emballement justifié? Oui, trois fois oui. On a suffisamment reproché aux auteurs français de se regarder en boucle le nombril pour ne pas saluer une tentative originale d’embrasser par les mots toute une époque. En l’occurrence la nôtre. Celle de l’argent roi, des classes moyennes et des nouvelles technologies. A travers le récit de l’ascension irrésistible d’un geek, du Minitel à Internet, Bellanger met au jour notre soumission aux machines et exhibe à la manière froide d’un Houellebecq -encore lui- nos carences affectives. D’une culture scientifique époustouflante, son odyssée techno-poétique laboure le réel avec l’efficacité implacable d’un algorithme. Si on retire la trame narrative, il reste d’ailleurs un traité à la Roland Barthes sur les mythologies contemporaines. Comme tous les grands romans, La théorie de l’information cultive une certaine radicalité qui pourra en rebuter certains. Mais qui n’est que le reflet de l’emprise de la science, cette nouvelle divinité, sur nos moindres faits et gestes. Pour le meilleur et pour le pire… (L.R.)

2. Comme une bête

DE JOY SORMAN, ÉDITIONS GALLIMARD.

La rentrée sera carnassière si l’on en croit la nouvelle livraison de Joy Sorman, auteure de Boys, Boys, Boys, de Du Bruit, récit consacré à NTM, ou de Paris, gare du Nord, jeune écrivain féministe gravitant autour de l’excellent collectif Inculte et chroniqueuse sur France Inter. Son roman Comme une bête est annoncé par son éditeur comme « l’histoire d’un jeune homme qui aime les vaches au point de devenir boucher ». Un thème étrange (glauque?) qui devrait trouver un écho chez Pauline Klein (l’excellent Alice Kahn), dont le deuxième roman Fermer l’oeil de la nuit (éditions Allia) mettra en scène la rencontre entre une jeune fille désoeuvrée et son voisin du dessus, artiste qui crée à partir de viande avariée. Anti-romanesque, la viande? (Y.P.)

3. Viviane Elisabeth Fauville

DE JULIA DECK, ÉDITIONS DE MINUIT.

Jolie pioche des éditions de Minuit, le premier roman de Julia Deck intrigue de bout en bout. L’histoire d’une femme qui s’enfonce dans le déni de la mort de sa mère au moment de donner la vie à son tour, et qui, tout juste séparée de son mari, commence le livre en tuant son psychanalyste de sang-froid. Lourd de sens… Viviane Elisabeth Fauville est un récit sur la solitude tour à tour inquiétant et fantasque, un polar truqué qui se sauve du récit de genre en ricochant sur les diverses facettes d’une héroïne comme démultipliée. Julia Deck y entame une partie haletante et jouissive avec la narration, ses fantasmes et ses possibles. Un beau coup d’essai qui ne devrait pas le rester. (Y.P.)

4. Millefeuille

DE LESLIE KAPLAN, ÉDITIONS P.O.L.

Jean-Pierre Millefeuille est fou. Aucun doute là-dessus. Pourtant ce professeur par vocation, grand-père idéal, avait de la conversation, des habitudes luxueuses, des amis. Il était élégant, disert et si les jeunes succombaient à son érudition, les serveurs et les marchands appréciaient son humour et son humanité. Alors que s’est-il passé? Millefeuille a le cerveau encombré par un excès de mots, les lettres lui collent à la peau, sa pensée se délite. Millefeuille flotte sans ancrage et quand il tente de s’agripper à la raison, sa culpabilité l’entrave. Pour suivre les méandres de cet esprit à la fois brillant et vacillant, la philosophe, historienne et psychologue Leslie Kaplan adopte dans ce qui est son 17e livre une syntaxe hybride, révélatrice de la confusion du protagoniste. (M.-D.R.)

5. « Oh… »

DE PHILIPPE DJIAN, ÉDITIONS GALLIMARD.

Un an et demi après Vengeances, Philippe Djian refait surface pour ce qui est… sa première rentrée littéraire. L’histoire de Michèle, productrice de films, qui voit sa vie basculer le jour où elle est victime d’un viol. Mal entourée par un père criminel en taule pour perpète, une mère de 75 balais qui ne pense qu’à se remarier, un ex-mari qui s’est amouraché d’une jeune standardiste et un fils qui bosse au MacDo pour entretenir sa petite amie enceinte, mais pas de lui, Michèle devra affronter seule les textos menaçants qui commencent à pulluler sur son portable… Dans la lignée de Doggy bag, « Oh… » est le récit, entrecoupé de flashbacks, « de 30 jours d’une vie sans répit », mené comme une course effrénée et dense, tandis que dehors, « la lune brille dans la nuit froide »(N.M.)

6. Contes à rebours

DE NICK FLYNN, ÉDITIONS GALLIMARD, TRADUIT DE L’ANGLAIS (ETATS-UNIS) PAR ANNE-LAURE TISSUT.

Auteur rare, l’Américain Nick Flynn sort de son silence pour livrer, après Encore une nuit de merde dans cette ville pourrie en 2010, ses Contes à rebours. Un récit sensible qui fait l’assemblage subjectif de pensées et de réflexions provenant d’un journal intime qu’il a tenu de 1981 à 2007. En poète itinérant, il y explore à nu ses rêves, ses cauchemars, ses appréhensions toutes neuves à l’idée de devenir père à 42 ans, un âge où sa propre mère avait déjà renoncé en se tirant une balle, et son père doucement sombré dans l’alcoolisme, les braquages de banque et la marginalité. Dans une succession de brèves notices a-chronologiques, Nick Flynn parle de son travail dans un centre d’accueil de SDF à New York, de sa découverte des terribles clichés de torture d’Abou Ghraïb, explore l’impact intime de la superposition des images des guerres au Vietnam et en Irak. Parle des films d’Andrej Tarkovski, compulse les écrits de Platon, nage pour calmer ses angoisses. Journal d’addictions passées et de rédemptions futures, Contes à rebours est avant tout le récit d’un homme qui affronte ses mensonges et ses peurs. Peur de la violence physique, de la torture mentale, de la paternité et de l’amour. Des retranscriptions des tortures d’une prison irakienne à la contemplation du velouté de la peau de son nouveau-né, Flynn réussit la synthèse impossible dans un livre apaisé, d’une bouleversante beauté, assis sur la ligne crépusculaire entre humanité et très sombres pulsions. (Y.P.)

7. Bois sauvage

DE JESMYN WARD, ÉDITIONS BELFOND, TRADUIT DE L’ANGLAIS (ETATS-UNIS) PAR JEAN-LUC PININGRE.

Nouvelle venue sur la scène littéraire américaine, Jesmyn Ward a déjà tout d’une grande. Entre violence et tendresse, naturalisme et lyrisme, elle dresse le portrait émouvant d’une famille afro-américaine luttant pour sa survie au fin fond du bayou. Autour de Esch, narratrice de 14 ans, gravitent trois frères, dont l’un n’a d’yeux que pour son pit-bull, un père largué depuis la mort de sa femme et… Médée, béquille existentielle pour cette ado projetée dans ce monde sans lumière, sur lequel plane l’ombre menaçante de Katrina. Rustine sur la roue de l’infortune, elle endosse un costume trop grand pour ses frêles et jeunes épaules. Mère de substitution pour ses frangins, objet sexuel pour les gars du quartier, elle donne sans rien recevoir en retour sinon l’affection maladroite et rustre d’une fratrie coincée entre l’enclume d’un paternel dépassé et le marteau d’un déterminisme social. Le salut viendra-t-il du ciel? Faulkner, Harper Lee et Flannery O’Connor hantent ce Bois sauvage sudiste en diable, ode bouleversante et électrique à l’amour, à la nature, à la rédemption. (L.R.)

8. Le Roi pâle

DE DAVID FOSTER WALLACE, ÉDITIONS DU DIABLE VAUVERT, TRADUIT DE L’ANGLAIS (ETATS-UNIS) PAR CHARLES RECOURSÉ.

La star de cette rentrée littéraire (étrangère) ne sera pas là pour entendre ses louanges -ou quelques cris d’incompréhension: Le roi pâle, le troisième et dernier roman resté inachevé de David Foster Wallace sort enfin au Diable Vauvert. Inachevé car le New-Yorkais surdoué s’est pendu en 2008, laissant derrière lui un premier roman de 1000 pages, pas encore traduit (Infinite Jest), des recueils de nouvelles, une somme sur la culture rap (Signifying Rappers), et puis le manuscrit de ce Roi pâle, au style halluciné et unique, comme le reste de sa trop maigre production. Le Roi pâle se voulait le roman définitif et jamais écrit sur… l’ennui. Soit près de 1000 pages sur un certain David Wallace, fonctionnaire à l’administration fiscale américaine. On en reparle prochainement. (O.V.V.)

9. Air de Dylan

DE ENRIQUE VILA-MATAS, ÉDITIONS BOURGOIS, TRADUIT DE L’ESPAGNOL PAR ANDRÉ GABASTOU.

Vilnius Lancastre, jeune cinéaste aux faux airs de Bob Dylan (jeune), vit dans l’ombre d’un père écrivain postmoderne ultra charismatique. Résidant à l’année à l’hôtel dans un idéal de paresse et de nonchalance, Lancastre est fasciné par l’âge d’or d’Hollywood et trouve dans une réplique d’un film co-scénarisé par Scott Fitzgerald matière à parcours… Peuplé de fantômes, ceux d’Hamlet et de l’Oblomov de Gontcharov en particulier, bourré de postures intellectuelles et d’absurde, de réflexions très romanesques sur l’échec et de jeux sur la représentation, Air de Dylan signe le grand retour de l’auteur du Mal de Montano sur les tables des librairies. (Y.P.)

10. Gains

DE RICHARD POWERS, ÉDITIONS LE CHERCHE MIDI, TRADUIT DE L’ANGLAIS (ETATS-UNIS) PAR CLAUDE ET JEAN DEMANUELLI.

Richard Powers poursuit son travail de démystification. Après avoir exhibé les dessous sales de la culture populaire et des sciences, notamment, il s’attaque à la société de consommation à travers une histoire qui pourrait servir de scénario à un film hollywoodien: une femme divorcée tombe malade et découvre que le responsable est l’entreprise de savon qui fait la fierté de la ville. Un thème rebattu mais qui prend une dimension épique et quasi philosophique sous la plume de Powers. Armé de son scalpel littéraire, il ne démonte pas seulement la mécanique diabolique d’un système aux dents longues, il dévoile le prix à payer par certains pour notre soi-disant bonheur à tous. Puissant et décapant même si l’auteur ne renoue pas avec la grâce qui irradiait de Le temps où nous chantions. (L.R.)

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