Critique | Livres

Pickpocket de Nakamura: la danse du vol

Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

THRILLER | Le « deuxième plus vieux métier du monde » prend ici des allures de ballet et de coup de maître. Le Japon, nouvel empire du polar levant?

DE FUMINORI NAKAMURA, ÉDITIONS PHILIPPE PICQUIER, TRADUIT DU JAPONAIS PAR MYRIAM DARTOIS-AKO, 190 PAGES. ****

Il vole parce qu’il ne sait faire que cela, et parce qu’il l’a choisi. Ne dites pas qu’il ne fait rien de ses dix doigts: cet homme-là, trentenaire nippon perdu dans la foule de Tokyo, engeance et parasite aux yeux de la société, les emploie mieux que personne. Il se faufile dans la masse, observe et danse autour des plus riches, qu’un souffle de vent aura bientôt délestés de leurs portefeuilles, gonflés de yens et de cartes de strip-clubs. Telle est la vie de Nishimura, et elle serait simple, presque douce, s’il n’y avait pas eu le suicide de sa maîtresse, cet enfant quasi abandonné à qui il n’a rien d’autre à apprendre que son art, et puis ce plan foireux, qui le met bientôt à la botte d’un chef Yakusa -un vrai méchant comme on en n’avait plus lu depuis longtemps, et qui va littéralement en faire sa chose. Et bientôt le point d’orgue de cette tragédie à la fois typiquement grecque, nippone et mondiale.

Renouveau japonais

Coup de maître, donc, de Fuminori Nakamura, jeune auteur de 35 ans, et de son éditeur français: ce thriller s’avale vite, mais mélange avec brio toutes les saveurs du genre, presque du roman noir. Saveurs nipponnes d’abord: son univers évoque d’emblée Takeshi Kitano, époque Hana-Bi. Et quelques autres maîtres du thriller japonais: des méchants réellement démoniaques, des gueules patibulaires et stoïques derrière les lunettes de soleil, des costards-cravates masquant des corps tatoués, des relations sociales excessivement codées, des femmes réduites au rôle d’objet ou de martyre et puis cette violence soudaine, souvent insoutenable, qui accompagne les mafieux locaux, avant de s’offrir un moment d’onirisme ou de poésie… Ce Pickpocket-là ne pouvait être que japonais. Mais il est aussi mondial, l’auteur nourrissant sa prose à d’autres sources: son sens du plan-séquence tendu, du dialogue et du cut évoque les polars américains; sa poésie froide et mélancolique rappelle des auteurs islandais… Le Pickpocket de Nakamura rejoint alors d’autres panthéons, où l’art des voleurs et des cambrioleurs a dépassé les frontières. Nakamura impose sa voix dans un polar nippon en pleine renaissance, susceptible à son tour d’envahir la planète: le genre est longtemps resté orphelin de Matsumoto (Tokyo Express) et Edogawa (le détective Kogoro). Des plumes comme Natsuo Kirino, Shizuko Natzuki et désormais Nakamura semblent enfin prêtes à prendre la relève. Et nous à les suivre.

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