Critique | Livres

Orgasme, le solo de sexo de Chuck Palahniuk

Chuck Palahniuk © DR
François Perrin Journaliste

ROMAN | À 54 ans, Chuck Palahniuk ne fait toujours pas dans la dentelle. Jouant cette fois des codes du mummy-porn, il nous propose ici un Orgasme… un peu longuet.

Penny Harrigan, jeune femme prude, godiche et paranoïaque qui se considère « comme un moineau gris et moche » et trime comme petite main dans un cabinet d’avocats VIP, croise un beau jour la route d’un délicieux personnage, digne d’un roman d’un Paul-Loup Sulitzer: le magnat richissime, élégant en diable, qui ne tardera pas, bien sûr, à lui faire la cour comme à sa bergère un illusoire prince charmant. Il faut dire que Penny « avait simplement besoin d’un mentor, d’un maître, d’un homme qui la révèle« . Ah d’accord. Or, bien entendu, derrière ses belles paroles, Linus Maxwell n’en demeure pas moins totalement cinglé, et même un sociopathe sexuel de premier ordre -plus proche cependant du Docteur Folamour de Kubrick que du Christian Greydes Cinquante Nuances et compagnie.

Difficile d’en douter: en écrivant son seizième roman, l’auteur du Fight Club d’il y a vingt ans (traduit en français en 1999) s’est visiblement fait extrêmement plaisir. Probablement trop, même, au point de prendre le risque de perdre son lecteur au fil des quelque 100 pages surnuméraires de cette trop longue plaisanterie. L’idée de départ, pourtant, était susceptible d’emporter pleinement l’adhésion: se lancer dans un pastiche outrancier des peu nuancés best-sellers d’Erika Leonard James, pour en tirer les fils au maximum, jusqu’à faire imploser tout l’édifice dans un délire comico-conspirationniste hardcore sur fond de cité en flammes. La scène d’introduction tient aussi ses promesses, glaçante à en faire circuler les âmes sensibles: le fan de Palahniuk en a pour son argent, la dénonciation radicale de la crétinerie abjecte des foules se mêlant à une ultraviolence dérangeante pour susciter… une perverse envie d’en dévorer la suite.

Interminables saillies

Orgasme, le solo de sexo de Chuck Palahniuk

Enfin, le dispositif général de narration extrêmement futé (consistant à décrire les deux premières scènes à travers le prisme d’obser- vateurs d’une glaciale placidité, un greffier et des écrans de smartphones) pique à tout le moins la curiosité. Hélas, l’auteur n’aura de cesse ensuite de tirer en longueur. Non content de nous révéler assez rapidement que son Linus semble avoir trouvé un moyen ultime pour mettre au pas les femmes en leur imposant -via des sextoys hyperperformants- les orgasmes les plus éprouvants de la terre, il développe sur une quantité impressionnante de pages les interminables saillies et expériences gynécologiques du Maître, voire plus tard de sa vieille sorcière de formatrice recluse dans sa caverne -Baba Barbe-Grise pour les intimes.

La chose s’avère d’autant plus irritante que, alors que l’intrigue avance par à-coups, on constate que l’auteur en gardait décidément sous le pied: Palahniuk s’amuse en effet, de façon tout à fait réjouissante, à passer de la pâleur des décors de sa comédie sensualo-romantique à la description d’une société constituée de femmes zombifiées par le plaisir solitaire (et d’hommes rendus sauvages par leur absence), puis au roman de formation d’une superhéroïne bien décidée à affronter le Grand Méchant, jusqu’à un final en noces sanglantes avec feu d’artifices de godemichets explosifs. Tout comme les supplices de Penny, ce livre aurait donc sans doute été très réussi s’il avait duré deux fois moins longtemps.

DE CHUCK PALAHNIUK, ÉDITIONS SONATINE, TRADUIT DE L’ANGLAIS (USA) PAR CLÉMENT BAUDE, 261 PAGES.

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