Mort d’Imre Kertész, écrivain de la Shoah contre « l’arbitraire barbare »

Imre Kertesz. © REUTERS
FocusVif.be Rédaction en ligne

L’écrivain hongrois et prix Nobel de littérature Imre Kertész, décédé jeudi à l’âge de 86 ans, laisse une oeuvre nourrie de son expérience des camps de concentration nazis qui est aussi « un appel contre toutes les dictatures ».

Diminué depuis plusieurs années par la maladie de Parkison, le seul Nobel de langue magyare avait quitté Berlin en 2013 pour revenir s’installer à Budapest, où il était né, et où il s’est éteint à l’aube jeudi, à son domicile, selon les informations des éditions hongroises Magveto.

Né le 9 novembre 1929, déporté à Auschwitz à l’âge de 15 ans, Kertész est un rescapé des camps de concentration nazis dont les livres, qui puisent dans son vécu de la Shoah, sont souvent comparés à l’oeuvre de l’Italien Primo Levi, de l’Espagnol Jorge Semprun ou de l’Américain Elie Wiesel.

« Il fut de ces écrivains juifs d’Europe qui ne pouvaient appartenir à une seule nation du fait de ses traumatismes et de la perspective universelle de son oeuvre sur l’Holocauste », a témoigné pour l’AFP Gabor T. Szanto, éditeur du magazine littéraire hongrois Szombat, qui l’a régulièrement côtoyé.

Son premier livre, le plus réputé, Etre sans destin (Sosrtalansag) raconte l’histoire d’un jeune déporté, Köves, de manière sobre, ironique et distanciée.

Son oeuvre « évoque son destin avec un amour de la vie, il en parle presque joyeusement », remarquait en 2002 son ami l’historien et journaliste François Fetjö, soulignant « une contradiction, une tension qui est tout à fait étrange » et ont parfois fait mal comprendre son propos, notamment dans son pays avec lequel il entretenait un rapport ambigu. Kertész répondait: « J’ai présenté les faits comme ils étaient, non pas les faits comme ils sont apparus dans la conscience de chacun après coup ».

Etre sans destin, sur lequel il a travaillé durant dix ans et qui fut d’abord publié dans l’indifférence en 1975, a finalement été reconnu comme une oeuvre « qui dresse l’expérience fragile de l’individu contre l’arbitraire barbare de l’Histoire, et défend la pensée individuelle contre la soumission au pouvoir politique », selon le jury du Nobel. Cette « arbitraire barbare » est celui propre à tous les systèmes autoritaires, dénonçait régulièrement cet homme à l’élégance classique, au large front dégarni.

« A Auschwitz, j’étais un enfant. Je n’ai compris ce que j’avais vécu à Auschwitz que sous la dictature communiste, qui n’a jamais aimé mes livres parce qu’elle sentait qu’ils contenaient de l’explosif: une sorte d’appel contre toutes les dictatures et pas seulement contre la dictature nazie », avait-il confié après son prix.

« Trouver une distance »

Revenu à Budapest après la guerre, Imre Kertész y avait travaillé comme journaliste, jusqu’à ce que son journal doive adopter la ligne du Parti communiste.

Mis à l’écart par le régime, il a alors passé sa rage intérieure au tamis d’une exigence de fer. « Entre 1961 et 1973, j’ai recommencé 500 fois le début d’Etre sans destin pour trouver une distance, une structure, un cadre où les mots puissent avoir leur vie », avait-il raconté.

« Après une période très longue d’anonymat, je suis devenu célèbre », constatait sans amertume ce traducteur d’auteurs de langue allemande, tels Nietzsche, Hofmannsthal, Schnitzler ou Freud, qui ont influencé son oeuvre.

« C’est un bon vivant, un homme très jovial, étrangement gai, qui aime faire la fête, qui aime la société », remarquait François Fetjö tandis que Sabine Wolf, directrice des archives littéraires de l’Académie des Arts de Berlin, a rendu hommage à « un homme d’une grande finesse ».

Installé à Berlin entre 2001 et 2013, il avait légué à l’Académie des Arts toutes ses archives.

S’il a critiqué en 2012 le gouvernement populiste conservateur du Premier ministre Viktor Orban, Imre Kertesz a été critiqué en retour en 2014, par la presse d’opposition, pour avoir accepté un hommage du même Orban.

Il est l’auteur d’une dizaine d’ouvrages, dont Kaddisch pour l’enfant qui ne naîtra pas (1990) et Liquidation (2004).

L’Ultime auberge, son dernier récit paru en 2015 en France aux éditions Actes Sud, évoquait « le duel entre sa maladie de Parkinson et l’écriture d’un nouveau roman », selon l’éditeur qui a contribué à sa reconnaissance et garde le souvenir d’un « homme simple et aimant ».

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