Serge Coosemans

Morrissey, écrivain: that joke isn’t funny anymore!

Serge Coosemans Chroniqueur

List of the Lost, le premier roman de Morrissey est sorti au Royaume-Uni le 24 septembre 2015. Comme il ne fait que 118 pages, Serge Coosemans n’a pas eu besoin de beaucoup de temps pour le lire et le démonter. Louder than bombs, c’est Crash Test S01E05.

En 1975, dans les environs de Boston, un troll des bois revanchard bute tranquillou grâce à son mental de démon une équipe sportive universitaire chargée par un autre spectre de résoudre une vieille affaire de pédophilie. Voilà, sans tortiller, en pleine « light that never goes out », le pitch de List of the Lost, le premier roman de Morrissey. C’est une catastrophe majeure, sortie la semaine dernière chez Penguin Books et déjà sujette à de bien carnassières critiques et beaucoup de moqueries. The Guardian s’en est par exemple donné à coeur joie, façon Eric Naulleau, sans la moindre pincette. Leur critique juge non seulement les scènes de sexe (il est vrai gratinées) et les dialogues ridicules (TOUS les personnages, qu’ils soient spectres ou américains, parlent l’anglais tarabiscoté de Morrissey) et conseille en fait carrément aux lecteurs potentiels de consacrer les £7,99 que leur coûterait le volume à autre chose. Cash, cela donne: « Tout ce que vous devez savoir c’est qu’il ne faut pas l’acheter. S’il vous plaît, n’encouragez pas Morrissey à écrire d’autres romans. Alors qu’Autobiography était fascinant, par moments superbe et empreint d’assez de charme pour en contrebalancer l’aigreur, List of the Lost n’offre rien de plus que l’étonnante prouesse, pour un livre aussi court, d’être ennuyeux. »

Je nourrissais pourtant un peu d’espoir pour ce bouquin, estimant notamment que Morrissey n’est pas le dernier des bitosses au moment de raconter des histoires qui font peur. C’est que non seulement déjà avec les Smiths et plus tard en solo, il nous a pondu quelques textes bien macabres mais qu’il se fait aussi que mon passage préféré d’Autobiography (2013) est justement cette étonnante histoire de fantôme qu’il relate avec beaucoup de panache. C’est une anecdote assez improbable, probablement mensongère, mais elle m’a marqué et m’a même occasionné quelques angoisses alors que j’étais en vadrouille dans des paysages similaires à ceux qu’il décrit. Bien entendu, le coup du troll des bois revanchard qui bute tranquillou grâce à son mental de démon une équipe sportive universitaire chargée par un autre spectre de résoudre une vieille affaire de pédophilie, c’est autre chose, un poil plus capillotracté qu’un souvenir surnaturel supposé vrai. C’est un pitch à peine digne d’un Bob & Bobette. Quoique avec des pitches pareils, un Stephen King, un Ramsey Campbell ou un Clive Barker sont toutefois capables de nous faire dresser les poils du cou.

Le problème, c’est que Morrissey n’est pas l’un de ces maîtres de l’épouvante. Lui, c’est le chanteur du meilleur groupe du monde des années 1982-87, depuis devenu pitre de variété rétro-kitsch et, surtout, ennemi public numéro un des saucisses, salaisons et autres spare-ribs. C’est l’autre gros point que j’ai retenu d’Autobiography: l’image de Morrissey comme étant un type passionnant et passionné, en guerre contre la médiocrité, ne recouvre plus aucune réalité. Aujourd’hui, c’est une figure du show-business international qui prend son métier très au sérieux et il se trouve que le show-biz international permet aussi de faire passer ses idées au public, c’est-à-dire, dans son cas précis, de radoter. Alors, Morrissey radote. C’est même devenu sa seconde spécialité. Il n’en touche plus une en studio depuis au moins 20 ans mais continue à exceller sur scène et à outrancièrement radoter. À chaque fois qu’il lui est possible, il balance grave sur les amateurs de boudins, les politiciens, le système judiciaire, la monarchie, les Chinois, la presse, l’industrie musicale… Ça entretient le mythe mais l’ennui majeur, c’est que tout ça passe nettement mieux dans les gazettes qu’en littérature, surtout de genre.

En attendant le remake du Justicier dans la ville par Eric Zemmour

Quand on se lance dans l’épouvante, on a en effet tout intérêt à maîtriser ses effets, à savoir ce que l’on raconte, où l’on va, à forcer le lecteur à s’identifier aux personnages menacés, à le faire pétocher, le dégoûter, à le choquer par des morts violentes, gratuites et injustes. Dans List of the Lost, Morrissey ne prend pas ces peines, il se contente simplement, une nouvelle fois, de radoter. Il geint parce que la vie, ça file: un jour on a 25 ans, le lendemain 60. Il en veut à Dieu, qui laisse mourir prématurément les innocents (why, oh God, why?). Il nous ressort son petit couplet aigri sur la viande, les animaux, le système judiciaire, la politique, les médias. Il parvient, en 2015 et dans un bouquin se déroulant en 1975, à une nouvelle fois critiquer Thatcher et Reagan. Il accuse Churchill de lâcheté, les femmes d’être pour la plupart lubriques et se lance même dans une analyse très houellebecquienne de Bonanza, la vieille série western avec Lorne Greene (450 épisodes de téloche à papa entre 1959 et 1972). Pendant ce temps, 6 humains et un démon passent de vie à trépas mais Morrissey ne semble pas vraiment être capable d’expliquer pourquoi, ni comment, ni vraiment en avoir quoi que ce soit à faire.

À vrai dire, personne ne comprend d’ailleurs trop ce qui se passe dans ce roman. En plein climax,

si on peut appeler climax le dénouement d’une histoire aussi décousue que dissipée, Morrissey dénonce sur une page entière le fait que les deux femmes qui ont tenté d’assassiner en 1975 le président Gérald Ford croupissaient toujours en prison alors que Ford était mort depuis longtemps (By the way: Ford est mort en 2006, la première a été libérée en 2007 et la seconde en 2009). Ce n’est pas le plus incongru du bouquin. Combien de jeunes sportifs américains, a fortiori maudits par une entité surnaturelle et en mission morale pour un gentil fantôme, en avaient quoi que ce soit à foutre de Margaret Thatcher en 1975, 4 ans avant qu’elle n’accède au pouvoir britannique et à la célébrité planétaire? En plus de ces digressions inutiles et de ces anachronismes plombants, The Guardian a sinon encore repéré dans le roman pas mal de grosses fautes grammaticales et de typographie. Selon le journal londonien, il est d’ailleurs probable que le texte de Morrissey ait en fait été contractuellement publié par Penguin Books tel que l’auteur leur a rendu; sans qu’un éditeur ait donc reçu le droit de travailler sur ses parties problématiques, d’en corriger les coquilles ou d’en couper certains passages incongrus.

Si c’est vrai, c’est parfaitement scandaleux. List of the Lost n’est pas un document destiné à l’étude, comme pourrait l’être un manuscrit que Stephen King aurait écrit enfant. C’est le très mauvais premier roman d’une pop-star fantasque de 56 ans, un bouquin qui n’existe donc en librairies que parce que la notoriété de son auteur assure qu’il se vendra à un ratio commercialement raisonnable, peu importe que le texte soit bon ou non. Ni plus, ni moins, c’est un caprice de star du show-biz doublé d’une arnaque éditoriale. Comme le seraient sans doute une bédé d’heroic-fantasy émotive de Nikola Sirkis, un recueil de nouvelles lesbo-vampiriques de Mylène Farmer ou le remake du Justicier dans la ville par Eric Zemmour. Ne riez pas. Le monde culturel pop est désormais ainsi fait que tout cela risque bien de nous tomber sur le coin de la tronche, un jour ou l’autre. Why, oh God, why?

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