Critique | Livres

Les Week-ends de Ruppert et Mulot, une prouesse graphique, esthétique et humoristique

Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

Les strips verticaux et vertigineux que Ruppert & Mulot réalisaient pour Le Monde ont désormais leur album. Un changement de taille.

La demande du Monde date du printemps 2014. Désireux d’aérer un peu les colonnes de son supplément du week-end sans en bouleverser la mise en page, le magazine a alors deux bonnes idées: utiliser une de ses colonnes de brèves pour y couler un strip, vertical, et qui fera donc obligatoirement 360 millimètres de haut pour 55 de large. Et ensuite proposer l’idée au duo Ruppert et Mulot, qui n’aime rien moins que les contraintes. La preuve: ils s’en sont ajoutés une deuxième, de contrainte: « insérer dans ces colonnes une sensation de grand espace« . Sans jamais oublier de faire rire. Le résultat? Une prouesse graphique, esthétique et humoristique malgré le format et le rythme d’un quotidien, même le week-end: le premier des 52 strips repris dans ces Week-ends fut ainsi publié au lendemain des attentats de Charlie Hebdo -« Vas-y, roule-moi une grosse galoche avant qu’on nous viole nos libertés au nom d’une guerre anti-terroriste », dit ainsi un quidam hors champ, au pied de la statue de la République, elle-même entourée par des bougies et la foule…

Jeu de contrastes

Les Week-ends de Ruppert et Mulot, une prouesse graphique, esthétique et humoristique

Heureusement, quand le terrorisme ne les oblige pas à réagir, Ruppert et Mulot reviennent ici à ce qu’ils font de mieux: un humour à froid volontiers vertigineux -l’illustration de couverture est magnifiquement choisie- jouant sur les contrastes et cette verticalité peu courante mais parfaitement exploitée: dans cet espace étroit, les compères placent tour à tour un orchestre symphonique, une équipe de rugby, un bus, un trois-mâts, et comme souvent, des silences assourdissants et cette fois rigolards, sans rien lâcher de leur esthétisme radical, minimaliste et immédiatement reconnaissable -stars de L’Association, ils avaient déjà réussi à rester complètement eux-mêmes en débarquant à la surprise générale chez Dupuis, lequel publie déjà ici leur quatrième album maison. Reste un souci, doublement de taille: l’album de leurs week-ends ne pouvant faire 36 centimètres de haut comme leur colonne d’origine, leurs strips verticaux mesurent désormais 7 centimètres de moins. Une réduction qui interpellera encore plus ceux qui les lisaient, en très grand, sur les réseaux sociaux, et un vrai écueil heureusement équilibré par quelques doubles pages magnifiquement remplies de grands dessins noir et blanc, muets et voués cette fois pour la plupart au sport, aux mouvements des corps et aux attractions foraines -qui font vomir leurs utilisateurs, et bien rire leurs dessinateurs. Ainsi, au final, dans ce mélange incongru de strips réduits et de grands dessins, le plaisir évident des auteurs à jouer avec les espaces et les habitudes de lecture, lié à leur sens rare du dialogue, s’avère heureusement très communicatif.

DE RUPPERT ET MULOT, ÉDITIONS DUPUIS, 96 PAGES. ***(*)

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