Critique | Livres

[Le livre de la semaine] Vulnérables, de Richard Krawiec

Richard Krawiec © ALEX BOERNER
François Perrin Journaliste

Après Dandy, l’éditeur français de l’Américain Richard Krawiec publie un inédit des années 80 dont toute bonne bibliothèque ne devrait pouvoir se passer.

Vulnérables, de Richard Krawiec, éditions Tusitala, traduit de l’anglais (USA) par Charles Recoursé, 222 pages. ****(*)

En 1986, Richard Krawiec publiait aux États-Unis Dandy (paru en France en 2013), un roman consacré à l’errance, âpre en diable, d’un couple d’exclus complets -avec enfant- dans une Amérique préférant siffloter en regardant ailleurs plutôt que de reconnaître l’existence de telles trajectoires dans l’arrière-cour nauséabonde du reaganisme, où les poubelles débordantes servaient aussi à se nourrir… À la veille des années 90, son roman Vulnérables faisait bien plus qu’enfoncer le clou, bien plus que gagner encore en puissance, bien plus que ruisseler d’un mal-être d’une étourdissante universalité. Un roman si riche et troublant qu’il faudra en réalité attendre 2017 et un éditeur français, Tusitala, pour le voir édité…

[Le livre de la semaine] Vulnérables, de Richard Krawiec

Bien décidé à ne plus laisser planer aucun doute quant au fait que les boîteux galériens de l’hyper-pauvreté ne fleurissent pas par simple génération spontanée, Krawiec y collait aux basques d’une famille « classe moyenne » (pavillon, télé, illusions de libre-arbitre) en voie de paupérisation rapide -parents contraints de bosser comme des ânes, enfants abandonnés aux courants d’eaux tourbeuses. Il y donnait la parole à Billy, aîné quadragénaire des enfants Pike, déserteur du foyer (« J’ai passé un an dans des parcs, des poubelles, des asiles de nuit et chez trop de gens qui voulaient trop de choses« ) et auteur multirécidiviste de larcins par paquets de douze, rappelé auprès de ses vieillissants géniteurs par une soeur effrayée par l’irruption gratuite de cambrioleurs du dimanche dans le sanctuaire familial.

Malaise croissant

L’occasion, pour un Billy en phase de maturité tardive, de faire son propre procès, sur quelque 200 pages au style aussi brut qu’impressionnant, de s’estomaquer sans cesse quant au décalage entre la nullité de ses décisions passées de petite frappe et l’impact constitutif, quasiment romantique, qu’ont pu avoir ces dernières sur les membres de sa fratrie, jusqu’à son jeune neveu. De revenir aussi sur quelques épisodes traumatisants de son enfance, que personne ne semble avoir pris au sérieux alors qu’ils lui ont livré clé en main son credo de délinquant: « Je voulais voler leur sûreté aux autres, me l’approprier, pour qu’eux aussi se sentent moins protégés. Je devais croire que la sécurité existait en quantité limitée dans le monde, et que si je réussissais à en éliminer une partie, nos peurs profondes s’allégeraient. » D’interroger, enfin, ce malaise croissant auquel ses parents s’abandonnent, au rythme entêtant de la dislocation des normes sociales comme des rêves de survie par le travail, dans une Amérique qui préfère désormais opposer l’indécence d’une poignée plutôt que des discours fédérateurs à des classes moyennes dont on scie frénétiquement la branche. « On a pas envie d’être là mais on peut aller nulle part. On veut pas affronter la suite parce qu’on sait qu’elle est inévitable », angoisse Billy sous différentes formules en plusieurs occasions. Une antienne que fera sienne le lecteur trop sensible, ou désireux de se bercer d’illusions. Les autres remercieront les éditions Tusitala d’avoir enfin permis la publication d’un roman essentiel.

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