Critique | Livres

[Le livre de la semaine] Thomas Gunzig, La Vie sauvage

Thomas Gunzig © Liesbet Peremans
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

ROMAN | Thomas Gunzig sort du lot de la rentrée en revisitant le mythe du bon sauvage. Il en profite surtout pour faire sauter le vernis de son nihilisme exacerbé.

90.425 likes et 80.763 partages, ça vous change une vie. L’image, capturée par une Google Car « au hasard d’une piste de brousse, d’un jeune garçon blanc au milieu d’un groupe de jeunes hommes noirs« , a en tout cas bouleversé celle de Charles. Pendant quinze ans, ce bébé survivant d’un crash d’avion a vécu, peinard dans la jungle, d’amour, d’eau fraîche et de guerres tribales. Et voilà qu’on le renvoie chez son oncle, bourgmestre boursouflé et corrompu d’une petite commune brabançonne, affublé de la famille typique et parfaite: une épouse inutile dans « un extraordinaire état de désolation mentale » et leurs deux ados d’enfants, condamnés comme leurs pairs « à une longue et pénible vie merdique« . Charles en est persuadé depuis qu’il a mis le pied en Belgique, à son premier face-à-face avec l’hiver européen (« avec son horrible visage grisâtre et son air aussi glacé et puant que l’haleine d’un mort« ): « Si le lieu d’où je venais était bel et bien le théâtre sans rideau d’inqualifiables atrocités, le lieu où je me trouvais en ce moment était bel et bien un enfer qui avait pris la peine de se construire un décor ». Et Thomas Gunzig de prévenir d’entrée de jeu dans son avant-propos: « J’ai pris le parti de la franchise et de l’honnêteté« . C’est dire l’estime que l’écrivain porte à ses contemporains et surtout la manière dont il va dégommer les civilisés dans son cinquième et dernier roman en date: sans, cette fois, la moindre fioriture.

Haro sur le Belge moyen

[Le livre de la semaine] Thomas Gunzig, La Vie sauvage

Contrairement à la manière dont Charles jauge les livres qu’on l’oblige à lire dans sa classe -« Un infâme fatras de clichés enfilés bout à bout, à la manière de perles merdeuses sur un fil fait de moisissure« – on a, nous, beaucoup aimé La Vie sauvage. Parce qu’on y retrouve la verve et les punchlines d’un auteur désormais accompli et dont l’humour, certes de plus en plus noir, trahira toujours la belgitude. Mais aussi parce qu’on le découvre soudain débarrassé de ses bonnes manières et de ce vernis de respectabilité, de fantaisie et de détachement amusé qui recouvrait encore son Manuel de survie à l’usage des incapables, son précédent roman. On y retrouve les mêmes thèmes -l’absurdité de notre monde moderne, la décadence de nos sociétés consuméristes, l’impasse proposée par les réseaux sociaux et l’ultralibéralisme- traités cette fois frontalement: la destinée machiavélique de Charles n’est qu’un prétexte pour jeter un regard désabusé et plein de détestation sur le Belge moyen. Seuls espoirs dans ce monde où le sauvage n’est pas celui que l’on croit? L’amour et la poésie, avec comme posologie des doses de cheval de Verlaine, Apollinaire et Baudelaire. On y ajoutera une cuillerée de Gunzig, juste pour le goût.

La Vie sauvage, de Thomas Gunzig, Éditions Au Diable Vauvert, 326 pages. ****

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