Critique | Livres

Le livre de la semaine: Prête à tout, de Joyce Maynard

Nicole Kidman dans La Peau de Suzanne © DR
Laurent Raphaël
Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

ROMAN | Parfumée au roman noir, cette satire survoltée dépeint une Amérique rongée par le culte de la célébrité et minée par ses fractures sociales.

« J’ai toujours pensé que votre vie ressemblait à ce que vous en faisiez, que Dieu a accordé à chaque individu le droit de devenir tout ce qu’il peut être. En ce qui me concerne, je voulais faire un mariage heureux, avoir une maison et un métier passionnant. Il y a six mois tout juste, j’ai obtenu toutes ces choses, et j’essayais de me bâtir un avenir encore plus excitant. Aujourd’hui, j’ai perdu tout ce que j’avais. J’ai vingt-cinq ans, et je suis veuve. » Chouchoutée durant son enfance par des parents qui avaient les moyens de satisfaire ses moindres envies (comme de se faire remodeler le nez à… douze ans), Suzanne Maretto est le prototype de la Barbie américaine que ressassent les magazines et qui mène son existence comme un plan de bataille.

Le livre de la semaine: Prête à tout, de Joyce Maynard

Après un mariage de princesse avec Larry, un restaurateur italien qui n’a peut-être pas le niveau mais compense par une idolâtrie de tous les instants, il ne manque qu’une pièce à son bonheur formaté: trouver ce job de présentatrice télé qu’elle convoite depuis l’enfance. Une consécration qui se fait toutefois attendre. Malgré son acharnement, Suzanne n’a réussi à décrocher qu’un poste au rabais sur une chaîne locale. C’est à ce moment-là que survient le drame: Larry est assassiné d’une balle en pleine tête en rentrant un soir. Cambriolage qui a mal tourné? Ou diabolique coup monté par Suzanne? Le suspense est éventé dès les premières pages: l’épouse est accusée d’avoir manipulé trois jeunes lycéens paumés rencontrés lors d’un reportage sur la jeunesse pour éliminer un mari qui risquait de freiner sa carrière. Pour arriver à ses fins, elle n’aurait pas hésité à devenir l’amante de l’émotif Jimmy et l’amie de la très influençable Lydia.

Desperate housewife

Dans ce roman choral, chaque acteur du drame -des ados aux parents en passant par le flic qui mène l’enquête- prend la parole pour donner sa version des faits et surtoutdépeindre en rose ou en noir ce redoutable petit bout de femme qui nie tout en bloc. Qui dit la vérité? On comprend vite que Suzanne nage en plein délire. Mais reste cette question lancinante: pourquoi? Pourquoi a-t-elle tout gâché?

Publié au début des années 90 par la nouvelle fiancée des lettres américaines, et adapté dans la foulée par Gus Van Sant avec Nicole Kidman dans le tailleur impeccable de Suzanne, ce roman dépèce les faux-semblants. Plus que le meurtre et sa résolution, c’est le procès d’une Amérique obnubilée par la célébrité et la télé, rongée par la fracture sociale, qu’intente ici le procureur Joyce Maynard. Non sans épingler avec un certain flair l’arrivée de la télé-réalité.

Si la charge fait mouche, elle souffre d’une certaine hystérie générale qui se traduit par des accents forcés dans la bouche des parias et par quelques répétitions qui altèrent la crédibilité de cette histoire très librement inspirée d’un fait divers. Comme si l’auteur en faisait un peu trop, cédant ironiquement à l’une des manies de son sujet. Si le thème de la violence tapie dans les replis de l’Amérique profonde rappelle Joyce Carol Oates ou Laura Kasischke, c’est avec moins de subtilité et de ravissement dans la perversion.

Reste que sur une plage écrasée de soleil, ce thriller psychologique plus malin que le « page turner » standard fera l’affaire.

DE JOYCE MAYNARD, ÉDITIONS PHILIPPE REY, TRADUIT DE L’ANGLAIS (ÉTATS-UNIS) PAR JEAN ESCH, 326 PAGES.

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