Critique | Livres

Le livre de la semaine: Margaret Drabble – Un bébé d’or pur

Margaret Drabble © Ruth Corney
Ysaline Parisis
Ysaline Parisis Journaliste livres

ROMAN | Une plongée intime, féminine et anthropologique dans le Swinging London, sur les traces d’une mère célibataire et de sa fille pas comme les autres.

Le livre de la semaine: Margaret Drabble - Un bébé d'or pur

Un aveu d’abord: de Margaret Drabble, on n’avait jamais entendu parler -ou si peu. Les circonstances atténuantes ensuite: trop peu traduite, en grande partie épuisée faute de rééditions, l’oeuvre de la native de Sheffield (1939) n’était en outre plus alimentée depuis qu’elle avait annoncé, en 2006 et à l’approche de ses 70 ans, qu’elle en avait définitivement fini avec l’écriture. Voeu pieu: cette proche de Doris Lessing, admirée par Joyce Carol Oates et soeur de l’écrivain A.S. Byatt -avec qui elle est semble-t-il irréversiblement brouillée- aura donc été rattrapée par l’écriture, trompant son monde avec Un bébé d’or pur, réapparition surprise d’une écrivain très considérée dans la Perfide Albion. A juste titre.

Londres, années 60. Doctorante en anthropologie à la très cotée School of Oriental and African Studies, la vive et libérée Jessica Speight se retrouve enceinte sans qu’on lui connaisse de liaison. Elle décide de garder l’enfant -une petite fille, Anna, dont le père s’avèrera être l’un des professeurs, révéré (et marié), de ladite l’institution. Souriante, constamment angélique, Anna marque rapidement sa différence: bébé d’or pur à la nature heureuse et sans ombres, elle souffre d’un trouble -un retard moteur et cognitif- sur lequel le livre laissera planer une forme d’imprécision. Commence une vie marquée par les besoins spécifiques et les difficultés d’apprentissage, et une intimité exceptionnelle entre mère et fille, bientôt soutenue par un système d’entraide tissé par les amis et les voisins de Blackstock Road (genre de Wisteria Lane des Londoniens progressistes).

Voix off

Davantage anthropologique que psychologique, bien qu’infiniment sensible quand il s’agit d’évoquer les contours liquides et dorés d’un amour maternel hors norme, Margaret Drabble profite de ce réservoir de personnages (poètes maudits, médecins, amants de passage, chercheurs ou acteurs) pour dresser un véritable tableau d’époque et le portrait d’une intelligentsia anglaise bohème éclectique, cérébrale et aisée, l’optimisme et les cheveux longs du Swinging London en bandoulière, les fêtes de rues, le haschich et la poésie de Sylvia Plath (le titre de Drabble lui est d’ailleurs emprunté) en intraveineuse. Brassant les gossips du quartier autant que ses nouvelles idées en vogue, le livre convoque les thèses de Piaget, le fantôme du Dr Livingstone, l’anti-psychiatrie et le multiculturalisme -toutes notions d’une époque bouillonnante, à travers lesquelles Drabble poursuit en particulier, et ce sans jamais sacrifier à l’énergie solaire de son récit, le fascinant fil rouge de la maladie mentale et de ses représentations.

Reste la narration, addictive, entièrement assumée par une proche voisine de Jess et Anna, narratrice dans leur ombre portée et dont nous ne saurons rien ou si peu, agençant les chapitres du roman au fil de l’intervention fantomatique et puissante de sa voix off teintée d’empathie et d’humanité, voire d’amertume et de jugement. Un storytelling plein de flash-backs et de prolepses, d’allers-retours entre passé et futur, pour un roman qui vient questionner sur le long terme la notion de destin: les événements de nos vies s’accumulent-ils par hasard ou y a-t-il un sens caché qui y préside en entier? Vaste débat, grand roman.

  • DE MARGARET DRABBLE, ÉDITIONS BOURGOIS, TRADUIT DE L’ANGLAIS PAR CHRISTINE LAFERRIÈRE, 434 PAGES.

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