Critique | Livres

[Le livre de la semaine] Les Maraudeurs, de Tom Cooper

Tom Cooper © Sara Essex Bradley
Laurent Raphaël
Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

ROMAN | Tom Cooper entremêle les fils de la tragédie, du burlesque et du polar dans un premier roman aussi tortueux que les méandres du bayou. Jubilatoire.

Si on ne s’étonne plus de voir débarquer des premiers romans américains bluffants de maturité, on n’en reste pas moins comme deux ronds de flan à la lecture des Maraudeurs, brillante démonstration littéraire que l’on doit à un inconnu de 42 ans, Tom Cooper, qui ne devrait pas le rester longtemps. Tous les ingrédients sont réunis dans ce livre jouissif pour que la fête soit réussie. Le lieu d’abord. Cooper nous plonge dans les profondeurs moites de la Louisiane, au coeur de ce bayou cher à James Lee Burke. Une terre hostile qui n’a jamais été complètement domestiquée, et où la tradition de piraterie continue à faire des émules dans les esprits passablement dérangés, sinon dans la conviction que les ex-gloires locales du grand banditisme, comme le flibustier Jean Lafitte, ont laissé traîner monts et merveilles dans les marais de la Barataria. C’est dans ces ténèbres humides qu’évoluent une brochette de personnages plus ou moins psychopathes, tous magistralement ciselés au fil d’un récit progressant avec l’agilité et l’avidité d’un alligator en maraude.

Voyage en eaux troubles

[Le livre de la semaine] Les Maraudeurs, de Tom Cooper

Le plus attachant, le plus pathétique aussi, de ces bras cassés -au sens propre le concernant- est Lindquist. Carburant aux amphétamines et aux anxiolytiques, ce pêcheur de crevettes manchot usé jusqu’à la corde ratisse depuis 30 ans chaque îlot de la jungle avec son détecteur de métaux, persuadé qu’un trésor sommeille quelque part sous la vase. Une obsession qui lui a déjà coûté sa femme et va bientôt déclencher la fureur des redoutables frères Toup qui n’aiment pas trop qu’on vienne se balader à proximité de leur plantation florissante de cannabis.

En comparaison, Wes Trench ressemble à une brebis égarée. En délicatesse avec son têtu de père depuis que ce dernier a provoqué involontairement la mort de sa femme lors du passage de Katrina, le jeune homme incarne l’innocence bafouée par cet environnement sauvage et cette humanité dépravée. A ces marginaux du cru s’ajoute encore Grimes, chargé par la compagnie pétrolière BP, responsable de la marée noire de 2010 qui finit d’asphyxier l’économie du bayou, de persuader les pêcheurs d’accepter un deal financier minable. Et enfin Crosgrove et Hanson, duo tarantinesque à l’affût d’un mauvais coup qui pourrait leur remplir les poches de dollars. Détrousser une vieille ou les jumeaux Toup, peu importe la victime pourvu qu’il y ait l’ivresse pour ces deux pieds nickelés…

Fouettée par un style au cordeau et des dialogues finauds, la narration adopte une architecture symphonique. Le point de vue change à chaque chapitre, l’intrigue continuant à cheminer mais sur un autre versant existentiel. Comment Wes va-t-il s’en sortir? Quel sort sera réservé à Lindquist par les deux affreux? Autant de questions qui deviennent vite obsédantes dans ce roman psychologique carrossé comme un thriller haletant.

Cooper nous embarque dans une nef des fous où le tragique de la condition humaine le dispute à un burlesque acide, à mi-chemin entre Mud pour le biotope et l’épaisse couche de mystère et Flannery O’Connor pour l’étude de moeurs mâtinée de grotesque. Plaisir et frissons garantis!

DE TOM COOPER, ÉDITIONS ALBIN MICHEL, TRADUIT DE L’ANGLAIS (ETATS-UNIS) PAR PIERRE DEMARTY, 400 PAGES.

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