Critique | Livres

[Le livre de la semaine] Les Animaux, de Christian Kiefer

Christian Kiefer © Jessica Newham
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

POLAR | Le nouveau venu Christian Kiefer ouvre l’année avec Les Animaux, roman à la fois noir et glacé, américain et rural, où les bêtes ne sont pas celles que l’on croit.

« L’ours était là, stupéfiant par ses dimensions, créature de fourrure et de griffes -créature meurtrière, aussi, dans un monde pas si éloigné de celui-ci. (…) Un monde au creux de sa bulle, et toi qui t’agrippes à ses parois bien lisses comme à la sécurité d’une matrice irriguée de sang. Toi et les animaux. » Celui qui se parle ainsi à lui-même s’appelle Bill Reed. Bill dirige un refuge dans le nord de l’Idaho, lui-même au nord des États-Unis, au beau milieu des montagnes rocheuses, là où les traces de la civilisation se perdent elles aussi dans la neige. Bill recueille les animaux incapables de survivre face à la violence de la nature et parfois des hommes. Et Bill les soigne à s’en tuer, au mépris de bien des règles. Comme investi d’une mission. Ou en vue d’une rédemption. Il y a dans son refuge un ours aveugle, un loup revêche, un puma, des martres, des aigles, bêtes sauvages elles-mêmes entourées par les orignals, les araignées du désert, les souris à poche et les renards nains. Une nature à la fois hostile et prometteuse d’une vie nouvelle, que Bill espère construire avec Grace, la vétérinaire de la région.

[Le livre de la semaine] Les Animaux, de Christian Kiefer

Et puis il y a, parallèlement au récit de Bill, celui de Nat, anti-héros d’une histoire plus sordide, celle-là vieille de presque 20 ans et qui se déroule plus au Sud, à Reno, dans le Nevada. Une région aride, de casinos, d’errance et de crimes, écrin idéal de ce qui va s’avérer être un polar bien plus qu’un roman naturaliste: Nat avait un meilleur ami, Rick, empêtré comme lui dans les dettes de jeu et la petite criminalité. Or Nat va trahir ce meilleur ami et poser un geste qui conditionnera leur vie à tous les deux: Rick passera douze ans en prison, et Nat deviendra Bill.

Nature polar

La collection Terres d’Amérique a décidément le nez creux pour dénicher -attention cliché- les nouvelles voix du roman américain. Après Donald Ray Pollock et Marlon James pour ne citer que les plus récents et fameux, voilà donc Christian Kiefer, dont c’est ici le deuxième roman mais le premier en français. Avec déjà, de fait, une vraie voix et des singularités, dont la plus éclatante est d’avoir réussi -fait plutôt rare- à mélanger ainsi « nature writing » et roman noir, soit les deux mamelles du roman américain contemporain. Le jeune auteur aurait pu se casser les dents en cherchant à démontrer qu’il y a dans l’oeil d’un ours plus d’humanité que dans l’oeil du voisin. Il impose au contraire son rythme lent, sa narration sans emphase inutile, sa passion des animaux et sa méfiance des hommes dans un ensemble cohérent, haletant et effectivement prenant, menant le lecteur sur des sentiers gelés mais là aussi originaux: oubliez les clichés que vous pensez trouver dans Les Animaux; presque aucun n’y sera. On les réserve pour le profil de son auteur: adoubé par Richard Ford, formé par T.C. Boyle, Christian Kiefer s’avère d’ores et déjà « une voix à suivre ».

DE CHRISTIAN KIEFER, ÉDITIONS ALBIN MICHEL, TRADUIT DE L’ANGLAIS (USA) PAR MARINA BORASO, 400 PAGES. ***(*)

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