Critique | Livres

Le livre de la semaine: L’Assassinat d’Hicabi Bey, de Alper Canigüz

Alper Canigüz © DR
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

POLAR | Dans les entrailes d’Istanbul, Alper Kamu mène l’enquête sur le meurtre d’un flic à la retraite. Détail cocasse, outre son nom: c’est un gamin de cinq ans.

Le livre de la semaine: L'Assassinat d'Hicabi Bey, de Alper Canigüz

Alper Canigüz a le sens de la formule, et en particulier de l’incipit, la première phrase de son premier roman traduit du turc vers le français: « A cinq ans, on est au coeur de l’âge mûr. Ensuite commence la chute. » Ainsi débutent le récit et l’enquête menés par Alper Kamu, un petit garçon de cinq ans dont le nom est loin d’être le seul clin d’oeil existentialiste contenu dans ce polar drôle et stambouliote. Car si Alper fréquente les classes de maternelle comme tous les gamins de son âge, il ne le vit pas de la même manière que ses petits camarades: « Rendez-vous compte, on réclamait de moi, Alper Kamu, fervent admirateur de Chostakovitch, que je m’époumone sur l’air d’Il était une bergère! » Ses lectures? « Dostoïevski, Oguz Atay et un peu de Nietzsche pour la rigolade. » Alper n’est donc pas un enfant comme les autres, même si on s’échine à lui donner des ordres et lui raconter des contes de fées: en lui sommeille, allez comprendre, un vieil intellectuel français, qui malgré son mètre de haut, va se jeter dans l’enquête sur la mort de son voisin, Hicabi Bey, commissaire à la retraite, égorgé selon toutes les apparences par Ertan le Timbré, l’idiot de ce coin oriental d’Istanbul, et ce en plein match européen de Besiktas! Un joli sac de noeuds, vu à travers les yeux de ce drôle d’enfant: « Je me suis toujours étonné qu’on puisse considérer les enfants comme des êtres beaux, innocents et naïfs. Quand je regarde ces gamins, je ne vois que les aspects les plus vils et violents de l’humanité. D’ailleurs, je ne me sens pas vraiment différent. Seulement, j’ai la chance de savoir exprimer ma laideur intérieure de manière plus raffinée. »

Autre regard

Alper Canigüz n’est évidemment pas le premier auteur à se choisir un narrateur et un récit à la première personne qu’on peut qualifier de décalé: on a déjà lu ça entre autres avec un autiste (Le bizarre incident du chien pendant la nuit de Mark Haddon), un terrier Aberdeen (Paroles de chien de Rudyard Kipling) et même une chauve-souris (Pensées secrètes de David Lodge). Il joue par contre parfaitement ce jeu du décalage entre l’être et le paraître, doublé d’un regard inédit sur ses contemporains. En l’occurrence ceux d’une passionnante ville d’Istanbul, grouillante et corrompue, mais beaucoup plus occidentalisée qu’on ne le croit souvent. Armé de son revolver en plastique, Alper sèche les heures de sieste pour arpenter longuement ses rues et ses arrière-cours, étonnamment familières. Plus en tout cas que ce détective en forme de petit morveux.

  • DE ALPER CANIGÜZ, ÉDITIONS MIROBOLE, TRADUIT DU TURC PAR CÉLIN VURALER, 250 PAGES.

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