Critique | Livres

[Le livre de la semaine] England Away, de John King

John King © DR
François Perrin Journaliste

ROMAN | Réédition du troisième volet de la trilogie consacrée par John King au quotidien chahuté d’une bande de hooligans de Chelsea.

« 100% Chelsea, 100% Anglais. » Ces quelques mots résument toute la profondeur théorique présidant aux actions et réflexions -bien souvent concomitantes- de la petite bande vénère de hooligans à laquelle appartiennent le morveux Tom Johnson et ce gros balourd romantique de Harry. Engagée dans une traversée de l’Europe vers Berlin via Amsterdam, la troupe, qui se vit quasiment comme un « corps expéditionnaire », allume le feu à chaque étape -cramant bagnoles, dépouillant rades, dérouillant passants et squattant aussi quartiers rouges- en guise d’échauffement avant d’assister en extérieur à un match Angleterre/Allemagne. Le roman, découpé en épaisses tranches aux relents guerriers, sinon identitaires (« Une race d’insulaires », « Le No man’s land », « Les portes de l’Occident », « Blitzkrieg ») ne cesse de dresser un parallèle entre ce que ces bourrins avinés associent à un débarquement héroïque sur un continent hostile et les souvenirs aigres autant que coupables de Bill Farell, troufion impliqué à l’époque dans la boucherie du D-Day en Normandie.

S’attachant à dresser un portrait le moins caricatural possible des hooligans (comme il le fit plus tard avec les Skinheads en2008 ou les punks en 2000), John King signait en 1999 avec England Away le troisième temps d’une tragédie en trois actes enclenchée en 1996 avec The Football Factory et poursuivie en 1998 avec La Meute. Et il confiait au personnage de Bill le soin de conspuer, devant les infos ou au sein de son association de vétérans, les actes stupides des gamins embarqués dans une virée crétine n’ayant rien à voir avec ce qu’il a vécu.

Voyage initiatique

[Le livre de la semaine] England Away, de John King

Réédition, donc, quelque dix ans après une première parution en français aux éditions de l’Olivier, d’un roman qui récupère au passage son titre originel (au lieu du Aux couleurs de l’Angleterre qu’on lui préféra à l’époque). Un déferlement de hordes sauvages lorsqu’elles se retrouvent mais constituées d’individus manquant surtout de culture mais pas forcément de coeur, qui permet au très politique King de balayer un siècle d’histoire de la violence, de la Grande Guerre aux infects bordels thaïlandais. Car ce ne sont pas seulement deux guerres qui se toisent ici -la réelle, atroce, et celle, bouffonne, que s’imaginent poursuivre ces gosses aux idées courtes-, mais également, par intermittence, celle de la prostitution, qui balance des enfants de Bangkok aujourd’hui comme de petites filles allemandes en 1945 dans les bras des vainqueurs, des puissants, des ordures intégrales.

En effectuant leur triste équipée, Harry et Tom vont contre toute attente bénéficier des bienfaits d’un voyage initiatique, qui les poussera à regarder enfin bien en face toute une série de laideurs -historiques, géopolitiques, sociales- qu’ils avaient coutume de balayer d’un geste en recommandant une tournée de pintes ou de bourre-pifs. Même leur sacro-sainte loyauté mystique au club sera mise à mal, dès le pied posé sur le ferry, puisque le soutien efficace, à l’étranger, de l’équipe nationale nécessite de signer une trêve tacite avec ces ennemis mortels que constituent… les supporters d’autres écuries anglaises: il s’agira de fédérer au mieux les hordes rivales avant d’accoster sur le continent. Et de cesser, par pitié, d’associer leurs bastons certes épiques aux tragédies de la Seconde Guerre mondiale.

DE JOHN KING, TRADUIT DE L’ANGLAIS PAR ALAIN DEFOSSÉ, ÉDITIONS AU DIABLE VAUVERT, 400 PAGES .

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