Critique | Livres

Le double jeu de Charlotte Farison

Charlotte Farison © DR
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

THRILLER | Parmi les vivants, la rencontre puissante entre le roman d’espionnage, façon puzzle, et le thriller corporate, façon Houellebecq.

Premier chapitre, première voix, qui se dédouble elle-même rapidement: Arturo, jeune trentenaire de Paris apparemment débonnaire, est engagé presque malgré lui au sein de l’entreprise Hermonia, consortium de services de conseils, ou quelque chose comme ça. On le charge, sans un mot ni un dossier, du département mécénat, en remplacement d’une jeune femme, décédée a priori dans un accident de voiture. Son nom: Lise Marshall. Deuxième chapitre, deuxième voix: Shula, sculpturale call-girl installée à Vienne et à l’intelligence suraiguë, est engagée par un certain et surtout très mystérieux Victor Khan, pour son seul physique, mais pas comme d’habitude. Shula lui rappelle une jeune femme, un amour de jeunesse, qui a eu l’outrecuidance d’apparemment échapper à cet homme à qui rien, pourtant, ne semble pouvoir échapper. Son nom: Lise Marshall. Un nom qui forme le seul point commun entre deux récits, presque deux romans, apparemment distincts tant dans la forme que dans le fond, et qui mettront bien des pages, peut-être trop, à se rejoindre après s’être longtemps succédé.

Le double jeu de Charlotte Farison

Mais en expliquant cela, on n’a encore rien dit de ce roman autant puzzle qu’à tiroirs qu’est ce très étonnant Parmi les vivants: l’essentiel est ailleurs. Dans la double narration d’Arturo, tantôt à la première personne, tantôt à la troisième, et qui révèle lentement une personnalité morcelée, voire trouble, et obsédée par sa jeunesse dans une étrange île des Tropiques; et aussi dans la double vie de Shula, espionne des temps modernes au passé tout aussi trouble que celui de cet Arturo qu’elle va mettre bien longtemps à croiser.

Lynch ou Houellebecq?

On sait peu de choses sur Charlotte Farison, si ce n’est qu’elle n’avait produit jusque-là que des « fictions institutionnelles » (?), et qu’elle oeuvrait surtout, avant ce premier roman, en tant qu’analyste financière dans un grand groupe français. Ceci explique sans doute sa connaissance des milieux corporate, et l’ambiance à la fois kafkaïenne et proche d’un Houellebecq qu’elle arrive à insuffler dans cette étrange vie de bureau d’Arturo, sans le moindre sens et bientôt anxiogène. Cela explique aussi, probablement, son sens presque mathématique de l’intrigue découpée, des pistes qui se brouillent et des pièces de puzzle qui s’additionnent, ne révélant que dans les ultimes pages, et à la dernière pièce, le tableau général, dans un climax final à faire pâlir le plus efficace et rompu des auteurs de thrillers. Le tout, certes un peu long, certes parfois un peu vain, sort également du lot grâce à une écriture puissante et parfois sentencieuse, qui accompagne ce double récit vénéneux, au final plus proche de Lynch que de Houellebecq.

DE CHARLOTTE FARISON, ÉDITIONS SUPER 8, 532 PAGES. ***(*)

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content