Serge Coosemans

La Servante écarlate: préférez la parodie accidentelle à l’original bien ramenard!

Serge Coosemans Chroniqueur

La Servante écarlate de Margaret Atwood est un classique de la science-fiction, une dystopie féministe fort bien vendue et au message toujours considéré comme très actuel. Jacky au royaume des filles de Riad Sattouf raconte à peu près la même chose mais est lui, en revanche, complètement oublié trois ans après sa sortie. Serge Coosemans rend justice. Boulettes chaudes, soft porn italien et carambolages, c’est le Crash Test S02E31.

Victime de la mode, mouton de la hype, j’ai fini par lire The Handmaid’s Tale (La Servante écarlate) de Margaret Atwood, ce bouquin de 1985 désormais vu comme l’un de ceux ayant prédit les années Trump, avec It Couldn’t Happen Here de Sinclair Lewis. Booker Prize 1986 et lauréat du prix Nebula la même année, c’est un véritable classique de la science-fiction, qui a connu un succès énorme et bon nombre d’analyses passionnées depuis sa parution. Je dois pourtant bien admettre qu’il m’était passé assez loin au-dessus de la touffe avant qu’il ne redevienne en cette année 2017 chaud-boulette pour différentes raisons. La principale, c’est que Margaret Atwood en personne s’est mise à en parler comme d’un « documentaire » sur l’Amérique de Trump. La seconde, dont découle en fait la première, vu le cadre marketing où Atwood s’est exprimée, c’est qu’il existe depuis avril une série télévisée adaptée de ce bouquin. Et puis, comme nous sommes en 2017 et que tout prête à buzz, débats de 140 caractères maximum et polémiques aussi rapides qu’un pet sur une toile cirée, il souffle aussi désormais dans les médias une véritable hystérie autour de ce roman et de cette énième adaptation (il y en a eu d’autres). Ce printemps, tout éditorialiste, tout chroniqueur, tout instagrammeur posant devant sa Billy de chez Ikea avec le Atwood bien en évidence se doit de mouliner une pensée construite à propos de The Handmaid’s Tale. Certains vantent donc les grands mérites prémonitoires de cette horrible « dystopie féministe ». D’autres y voient l’ultime critique des sociétés puritaines et religieuses. La troisième voie, c’est d’avancer que le bouquin est formidable mais son héroïne un peu trop passive, car il est grand temps de montrer les crocs alors que s’éloigne de plus en plus la perspective de la pilule en vente dans les Monoprix, oh yeah.

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Moi, j’ai tout simplement trouvé The Handmaid’s Tale plutôt mongoloïde et extrêmement prétentieux. Pour faire court, disons que si l’univers patriarcal répressif du roman est très probablement inspiré de l’Iran de Khomeini et de l’Afghanistan de 1984, autrement dit, d’une certaine actualité de l’époque où il a été écrit, il m’a surtout fait penser au décor d’un bon gros soft porn italien des années 70. Avec sa soubrette en manque de vrai sexe. Avec son militaire décadent que l’on peut imaginer moustachu et ventripotent et son officier aux épaules larges qui astique un peu trop régulièrement sa bagnole de façon suggestive. Et ses flashbacks lesbiens. Je n’invente rien, tout cela y est vraiment. Ça et bien d’autres couillonnades trash qui passeraient encore bien si elles n’avaient pas la prétention de grands symboles, de messages surlignés, de mises en garde solennelles, de leçons pataudes. C’est le gros problème du bouquin: tout y est très con mais tout y est voulu lourd de sens. Or, si on lui retire la motivation de retrouver sa fille, son mari et sa bonne copine, il est tout de même manifeste que l’héroïne du bouquin a surtout envie de décamper de son univers dictatorial post-apocalyptique parce qu’elle en a surtout marre de ne faire que les courses et de passer régulièrement à la casserole au cours d’un viol rituel. Ce qui est parfaitement censé mais en dit probablement plus long sur les ronchonnades quotidiennes et domestiques de la Margaret Atwood des années 80 que sur le réel danger représenté pour les femmes occidentales par la montée des fondamentalismes religieux.

Pourtant, achtung, interdiction de rigoler. C’est qu’on dénonce ici les rouages de la domination masculine, qu’on est là pour nous rappeler que les libertés des femmes sont fragiles, jamais totalement acquises. Ce roman peut se lire comme de la science-fiction foireuse et mal branlée mais le considérer mauvais, ce serait faire l’erreur de s’arrêter à la forme et en oublier le fond. Faut d’ailleurs lire Margaret Atwood se la ramener grave dans ses interviews au sujet de The Handmaid’s Tale, y citer tout un tas de références très respectables, y expliquer les moments historiques qui l’ont inspirée, ce qu’elle estime être politiquement possible et pas seulement qu’avec Donald Trump et Mike Pence à la Maison Blanche. Bref, parler de sa série B horrifique pas très crédible et fort surestimée comme d’une oeuvre importante, drôlement visionnaire et née d’une noble démarche intellectuelle et même citoyenne.

Le plus drôle là-dedans, c’est que The Handmaid’s Tale, en réédition ou via la série télé, débarque en fait dans certaines vies, dans la mienne en tout cas, APRÈS Jacky au royaume des filles, le film de Riad Sattouf sorti en 2014 et qui en est en quelque sorte la meilleure parodie. Je ne sais pas si c’est voulu. Les deux dystopies habillent les victimes de rouge et les oppresseurs d’apparats militaires, se déroulent dans des mondes relativement similaires, mais peut-être est-ce fortuit? La page Wikipedia de Jacky au royaume des filles ne cite pas Margaret Atwood parmi ses influences revendiquées. Par contre, il est clair que tant The Handmaid’s Tale que Jacky au royaume des filles sont inspirés du monde musulman, des juntes militaires, des régimes communistes et des sociétés patriarcales. Pour un résultat pas folichon d’un côté comme de l’autre, donc: pas bien dosé, raté, lourdaud mais Riad Sattouf a au moins le mérite de rester modeste et marrant dans le nawak, donc forcément beaucoup plus sympathique qu’Atwood. J’irais même jusqu’à partager la critique de 2014 des Inrocks, qui écrivaient que « Sattouf prouve que le rire et la farce sont porteurs de fruits autrement plus juteux que toutes les sérénades édifiantes visant à dénoncer la place des femmes dans la société ». Évidemment, cette critique d’un film d’homme était signée par un autre homme. Et ici reprise par un troisième homme. Ouin ouin, c’est le son des chiennes de garde!

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