La rentrée littéraire en 11 romans phares

Frédéric Beigbeder © Grasset
Laurent Raphaël
Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

De Frédéric Beigbeder à Emmanuel Carrère, en passant par Éric Reinhardt, Claire Messud ou Haruki Murakami, zoom sur onze temps forts de cette rentrée littéraire.

LE PLUS VINTAGE: Oona & Salinger

De Frédéric Beigbeder, éditions Grasset, 336 pages.

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On savait la fascination de Fréderic Beigbeder pour L’Attrape-coeurs, roman culte de Salinger. Après L’Attrape-Salinger, un documentaire pour lequel il était parti à la recherche de son mentor (devenu dès les années 60 l’écrivain le plus misanthrope de la planète), l’auteur de L’amour dure trois ans s’attarde sur la brève liaison qui unit Salinger (21 ans, écrivain aspirant) à Oona O’Neill (15 ans, adolescente dorée de la high society, fille de Prix Nobel et future madame Chaplin) au tout début des années 40 à New York. Sur la corde entre faits avérés et fiction, l’écrivain dandy brandit la bannière de l’hybride « faction » pour autoriser tous ses fantasmes. Le sujet est forcément fascinant, la mise en scène, elle, purement beigbederienne: sur-soulignée, décalée, autocentrée, parfois maladroite, légèrement hystérique, souvent réjouissante.

LE PLUS PLÉBISCITÉ: L’Amour et les Forêts

De Eric Reinhardt, éditions Gallimard, 368 pages.

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Dans ce qui est d’ores et déjà l’un des événements de cette rentrée, Eric Reinhardt met en scène la rencontre fortuite, puis suivie, d’un écrivain (Reinhardt himself) avec une de ses lectrices, Bénédicte Ombredanne, et la manière dont les confessions troublantes de cette dernière le conduiront à l’écriture du livre que l’on a entre les mains. Après Le Système Victoria (2011) et surtout Cendrillon (2007), dont il annonce que L’Amour et les Forêts est une explicite résurgence, Reinhardt offre un portrait de femme stupéfiant et questionne l’étendue du pouvoir de l’imaginaire.

LE PLUS HOUELLEBECQUIEN: L’Aménagement du territoire

De Aurélien Bellanger, éditions Gallimard, 478 pages.

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Il a troqué son look HEC pour une dégaine bobo mais n’a pas changé une virgule à son style littéraire. Dans cette symphonie en dix mouvements, Aurélien Bellanger, qui s’est fait remarquer avec La Théorie de l’information, ausculte l’Histoire de France par le bout administratif et provincial de la lorgnette, esquissant entre les lignes arides le portrait d’une modernité à bout de souffle. Les uns applaudiront ce geste houellebecquien de haute précision, les autres dézingueront le déni assumé -jusqu’à la sidération- de romanesque. On se tâte encore…

LE PLUS GLOBALISÉ: Autour du monde

De Laurent Mauvignier, éditions de Minuit, 384 pages.

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Après Dans la foule, récit cacophonique hallucinant de la catastrophe du Heysel, Laurent Mauvignier revient avec un roman mondial. Sous l’égide de Bret Easton Ellis autant que de Flaubert ou Nicolas Bouvier, Autour du monde brasse une succession d’histoires individuelles, de Moscou aux Bahamas, de Rome à la Tanzanie, et bien plus, reliées par une certaine idée d’intime simultané et convergeant vers une onde de choc globale: le tsunami japonais de 2011. Résolument en prise sur le flux du monde, un livre d’une ambition folle.

LE PLUS INATTENDU: Le Manteau de Greta Garbo

De Nelly Kapriélian, éditions Grasset, 288 pages.

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On la connaissait critique littéraire à Vogue et aux Inrocks, chroniqueuse impitoyable au Masque et la plume: la journaliste Nelly Kapriélian passe de l’autre côté du rideau de la rentrée littéraire pour publier son premier roman. Prenant pour point de départ la vente aux enchères de 800 pièces ayant appartenu à la Divine, Le Manteau de Greta Garbo explore le lien complexe entre garde-robe et identité (amoureuse, familiale, sociale, artistique…). Hanté par le cinéma, un livre hybride entre essai et autoportrait, entre intellectualisation de la mode et bouleversante mise à nu d’une femme.

LE PLUS SPIRITUEL: Le Royaume

D’Emmanuel Carrère, éditions P.O.L., 640 pages.

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Page 340, il prédit que le public s’enquerra: « Mais alors finalement, vous êtes chrétien ou non? » Comme, il y a bientôt 30 ans, « Mais alors finalement, la moustache, il l’avait ou non? » Emmanuel Carrère a été croyant. Très. Pendant trois ans. Il en est revenu depuis, lourd de 640 pages d’un travail exégétique vertigineux. Pas un roman, non. Un récit. Pas tout à fait un essai, plutôt une enquête sur la genèse de la Chrétienté, à voir comme un jalon supplémentaire dans l’oeuvre passionnante d’un auteur singulier, qui s’impose avec ce Royaume comme un écrivain majeur. Et si son foisonnement interprétatif des moindres atermoiements de Luc et Paul (…) peut rendre ce pavé assommant à quelques égards, son érudition donne le tournis et la précision de son écriture, des complexes.

LE PLUS POSTHUME: Price

De Steve Tesich, éditions Toussaint Louverture, traduit de l’anglais (USA) par Jeanine Hérisson. 544 pages.

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De Price, son tout premier roman publié en 1982 aux Etats-Unis, Steve Tesich (1942-1996) disait qu’il le portait en lui depuis toujours. Soit le roman d’apprentissage de Daniel Price, adolescent pris, le temps de l’été de ses 17 ans, entre l’agonie de son père et celle de son premier amour avec la changeante Rachel. Un condensé de Midwest américain désillusionné et anxiogène, qui célèbre à bien des égards la naissance de l’écrivain gigantesque du futur chef-d’oeuvre Karoo. Une excavation bouleversante.

LE PLUS INITIATIQUE: L’Incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage

De Haruki Murakami, éditions Belfond, traduit du japonais par Hélène Morita. 384 pages.

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Après le raz-de-marée de sa trilogie 1Q84, le plus nobélisable des écrivains nippons revient avec un roman sobre et nostalgique. Soit l’histoire de la mise au ban soudaine, par son cercle d’amis, de Tsukuru Tazaki, jeune aspirant architecte ayant quitté sa Nagoya natale pour aller étudier à Tokyo. Et qui, seize ans plus tard, entame un pèlerinage jusqu’en Finlande pour élucider les raisons d’une inexplicable disgrâce. Un Murakami qui renoue avec le climat de mystère lent et de nostalgie cotonneuse de son inoubliable Ballade de l’impossible.

LE PLUS DÉSENCHANTÉ: Cataract City

De Craig Davidson, éditions Albin Michel, traduit de l’anglais (Canada) par Jean-Luc Piningre, 496 pages.

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Après le crochet du gauche (son recueil de nouvelles Un goût de rouille et d’os), voici l’uppercut. Le Canadien Craig Davidson ne fait pas mentir sa réputation de puncheur littéraire dans ce roman dévidant le fil d’une amitié entre Duncan et Owen, deux gamins d’une ville ouvrière sans charme plantée au pied des chutes du Niagara. D’une expérience traumatisante qui leur bousillera leur enfance et scellera leur mauvais karma (un catcheur les enlève et les abandonne au milieu des bois) aux rêves avortés en passant par les mauvaises fréquentations de Duncan, leur relation sera soumise à toutes les épreuves morales dans le dédale de voies sans issues qui composent la géographie de ces existences ordinaires. Avec une luxuriance verbale qui rend la brutalité encore plus suffocante (mention spéciale pour la traduction), Craig Davidson cogne la vie avec la rage du désespoir. K.O. assis assuré.

LE PLUS NEW-YORKAIS: Un monde flamboyant

De Siri Hustvedt, éditions Actes Sud, traduit de l’anglais (USA) par Christine Le Boeuf, 400 pages.

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Dans La femme qui tremble, paru en 2010, Siri Hustvedt analysait déjà cette part d’elle-même qui lui échappait. Dans Un monde flamboyant, elle va plus loin, c’est une femme qui a peur de « n’être » qui s’exprime. Roman magistral, complexe, vertigineux, Un monde flamboyant retrace la vie passionnante d’une artiste éblouissante, Harriet Burden. Une femme qui, si elle avait été un homme, aurait connu tous les succès. Mais il lui manquait « ce corps de-vingt-quatre-ans-avec-queue », seul reconnu dans le monde de l’art new-yorkais des années 70-80. L’harmonisation de ces fragments de vie est orchestrée par un certain I.V. Hess qui signe le prologue et le post-scriptum de l’oeuvre. Mais qui se cache derrière cette femme qui aurait voulu « contenir tous les mondes », cette femme avant-gardiste qui a refusé de se ranger et survit dans un monde médiocre et superficiel?

LE PLUS FÉMINISTE: La Femme d’en haut

De Claire Messud, éditions Gallimard, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par France Camus-Pichon, 384 pages.

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Nora, la quarantaine, vit seule à Boston. Institutrice dévouée et appréciée, elle incarne la femme moderne sans histoire. Sauf que sous la surface lisse sourd une colère qui n’est pas étrangère à sa rencontre quelques années plus tôt avec une famille parfaite. A son contact, elle a renoué avec ses ambitions artistiques avortées. La perspective de se réaliser enfin n’est même plus très loin. Le coup de poignard qui la relègue au second plan n’en sera que plus douloureux. Par l’auteure des Enfants de l’empereur, un portrait grinçant aux accents féministes drapé dans une langue classique et fluide qui fait dégorger tout le cynisme de l’époque. Gare aux éclaboussures!

Mais aussi…

Ce sont les jours de l’année littéraire où l’arithmétique compte soudain autant que les lettres. Scrutés avec fébrilité par le milieu, les chiffres de rentrée, annuellement assénés comme un oracle, sont évidemment le baromètre objectif, incontestable, pratique, de la couleur de la production en ces temps de crise. Levons donc le rideau de 2014 (et ses conclusions mitigées): 607 nouveautés (légèrement plus que l’an dernier (555), mais bien moins qu’en 2007 (727)), stabilisation des traductions (203 contre 198 en 2013), et retour marqué du roman français (404 contre 357) contre inquiétante confirmation, année après année, de la baisse de premiers romans (75 contre 86). Plus sensible, l’épluchage des catalogues d’éditeurs permet de confirmer une rentrée solide -certains diront « refuge » (beaucoup de valeurs sûres parmi les coureurs au départ). Côté français, sont attendus Patrick Deville (Viva), Joy Sorman (La Peau de l’ours), Eric Vuillard (Tristesse de la terre), Serge Joncour (L’Ecrivain national), Olivier Adam (Peine perdue), David Foenkinos (Charlotte), Olivia Rosenthal (Mécanismes de survie en milieu hostile), Pascal Quignard (Mourir de penser) ou Christophe Donner (Quiconque exerce ce métier stupide mérite tout ce qui lui arrive). Côté étrangers, on guette les nouvelles livrées de Don Carpenter (Deux comédiens), James Salter (Et rien d’autre), Thomas Pynchon (Fonds perdus), Philip Meyer (Le Fils), Chuck Palahniuk (Damnés) ou encore la Prix Nobel Alice Munro (Dear Life). Ceci digéré, on retrouvera de l’appétit pour la seconde vague d’octobre, emmenée par les Mathieu Lindon, Patrick Modiano, Philippe Djian, Annie Ernaux ou Dave Eggers. Chiffres ou lettres, on n’est pas au bout de nos découvertes.

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