Critique | Livres

La drôle de guerre

© Futuropolis
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

RÉCIT | Pascal Rabaté revient au dessin et à son inimitable savoir-faire pour raconter la défaite française de juin 40.

Juin 40, quelque part près de la frontière allemande. Ce coup-ci, Amédée, soldat du 11e régiment, a évité le mitraillage des Stukas -« L’averse est passée. Mais on n’est pas tous passés entre les gouttes ». Des gouttes qui ne doivent pas faire oublier l’essentiel à cette poignée de troufions, comme leur rappelle avec à-propos leur détestable adjudant-chef: « On a une guerre à faire bordel! » Une guerre en réalité déjà perdue: en juin 40, les Allemands ont déjà percé toutes les défenses, l’armée française s’est fait écraser, laminer, balayer. La débâcle est totale, la déconfiture énorme, et l’exode a commencé pour des millions de civils. Amédée, lui, va errer sur les routes jonchées de cadavres à la recherche de son régiment, perdu après qu’une balle ait transpercé le réservoir de sa moto. Un récit tragique, donc, mais pas seulement, puisque nous sommes dans l’univers fin et humain de Rabaté, qui a compris que le rire est le meilleur et parfois seul moyen pour affronter les tragédies: La Déconfiture est, aussi, le récit plein d’humour d’une succession de rencontres iconoclastes et burlesques, aux dialogues enlevés et paradoxalement pleins de vie. Puisque le destin transforme des instituteurs en croque-morts, autant croquer la vie, plus que jamais.

Après L’Exode

La formule ne serait pas complètement stupide, on parlerait ici de l’album de la maturité pour Pascal Rabaté. À 55 ans, après trois films et quelques scénarios pour les amis, l’auteur d’Ibicus, Les Petits Ruisseaux et Vive la marée! revient enfin au dessin -un dessin qui fait beaucoup pour la réussite de ce splendide récit annoncé en deux tomes, et surtout parfaitement en phase avec le propos de son auteur: un récit à hauteur d’hommes, tout en épure et en dialogues, rarement spectaculaire, mais toujours juste. Usant d’une bichromie entre noir et gris parfaitement maîtrisée, Pascal Rabaté rend même splendides ses fonds de cases, d’un blanc immaculé! Quant au sujet, il n’est évidemment anachronique que pour ceux qui ne savent pas regarder: cette déconfiture en rappellera d’autres, plus modernes, voire d’une actualité brûlante, Rabaté rappelant en creux à ses concitoyens qu’ils furent eux aussi des réfugiés jetés dans les rues et condamnés à l’exil. Un thème et une époque qui lui tiennent visiblement à coeur: son premier album, paru en 1989 déjà chez Futuropolis, s’appelait L’Exode et proposait le même contexte -la défaite française- mais pas la même qualité. En 25 ans de carrière, Rabaté s’est affranchi de ses références très marquées (le génial et regretté Alexis plane sur ses débuts) et semble désormais au faîte de sa petite musique, entre humilité, humanisme et soif de vivre.

LA DÉCONFITURE (1/2), DE PASCAL RABATÉ. ÉDITIONS FUTUROPOLIS. 96 PAGES. ****(*)

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