Critique | Livres

[La BD de la semaine] Sur les ailes du monde, Audubon, de Grolleau et Royer

© Dargaud
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

ONE-SHOT | La vie du dessinateur naturaliste Jean-Jacques Audubon donne corps à un one-shot très réussi. Et qui offre surtout une énorme bouffée d’air frais.

Il y a des jours comme ça, surtout à Bruxelles, où on a vraiment besoin de se changer les idées, et donc d’éviter pour un temps toute BD anxiogène, violente, trop proche du réel, d’aujourd’hui ou d’ici. Se changer les idées, et tenter de partir loin, en prenant si possible un petit peu de hauteur et beaucoup d’oxygène. Dans cette quête, il est un album sorti en février qui se déguste désormais comme une praline Marcolini, puisqu’il tient sa promesse de vous emmener Sur les ailes du monde, et ce, sur les traces d’un personnage historique largement inconnu, et à l’intérêt hautement improbable et en tout cas en dehors des modes (quoique): Jean-Jacques Audubon est un dessinateur et peintre naturaliste du XIXe siècle, né Français, mort Américain, et qui rêvait de dessiner tous les oiseaux d’Amérique. Une folie qui l’a mené dans les plus beaux endroits de ce continent encore sauvage, mais aussi à tous les sacrifices, quasiment à la mort, et enfin à deux doigts de la réussite: Audubon est considéré aujourd’hui comme le premier ornithologue du Nouveau Monde et l’un des pionniers de l’écologie moderne. Et si l’on peut lire son histoire telle que narrée par le scénariste Fabien Grolleau et le dessinateur Jérémie Royer, deux bons gars de la BD indé, comme une allégorie de la nôtre -leurs ailes racontent aussi un monde qui se termine, au bord de la déforestation la plus sauvage et de la disparition de ses « natifs »-, elle se goûte surtout comme une énorme bouffée d’air frais, qui vous emporte littéralement sur le dos des oiseaux.

Libéré de sa cage

[La BD de la semaine] Sur les ailes du monde, Audubon, de Grolleau et Royer

Ce récit, que l’on pensait réservé à tous les ornithologues amateurs, s’avère au contraire réellement tout public: le scénariste en fait une véritable aventure à la fois spectaculaire et intérieure, en assumant les libertés prises avec la vérité historique -Audubon lui-même a réécrit souvent sa propre histoire. Celle d’un homme happé par sa passion, incapable d’une vie « normale », et presque poussé dehors par sa femme afin qu’il prenne son propre envol, et sorte de sa cage…

Un amour fou pour les oiseaux que le duo parvient à retranscrire, ici dans le coeur d’un érable sycomore rempli de milliers de nids d’hirondelles, là dans un vol d’oies bernaches, avec beaucoup de poésie et une étonnante maturité. Sur les ailes du monde propose aussi, en creux, un « discours » sur le dessin et ses fonctions: le travail d’Audubon était à l’époque considéré trop artistique pour les scientifiques, et trop naturaliste pour les marchands d’art. Bref, il n’y a que des bonnes raisons de s’offrir ce one-shot qu’on n’avait pas vu venir. Et qui fait un bien fou.

DE FABIEN GROLLEAU ET JÉRÉMIE ROYER, ÉDITIONS DARGAUD, 184 PAGES.

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