Critique | Livres

Luz, master of Puppy

© Glénat
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

ONE SHOT | Luz, toujours hanté par la tragédie de Charlie, raconte les tribulations d’un chien-zombie. Une fable lugubre sur le destin des innocents.

On peut être mort et de bonne humeur, zombie et innocent. Comme Puppy, le petit chien jovial revenu d’entre les morts et sorti de sa tombe perdue au milieu d’un étrange cimetière pour animaux, mais toujours moins étrange que le monde des hommes qui l’entoure. Ou comme Luz, auteur de ce Puppy sans paroles mais pas sans histoires, et qu’on ne peut s’empêcher de reconnaître, le coeur serré, derrière cette créature innocente en mal d’amour: deux ans après les attentats de Charlie Hebdo, Luz a définitivement lâché le dessin de presse ou politique pour se consacrer entièrement à la bande dessinée, mais sa catharsis, elle, se poursuit. Comme nous le rappelle le Larousse, une catharsis est « une méthode thérapeutique qui vise à obtenir une situation de crise émotionnelle telle que cette manifestation critique provoque une solution du problème que la crise met en scène ». Luz en est ainsi à sa troisième tentative.

La perte de l’innocence, encore

La première s’appelait justement Catharsis. Un album réalisé dans la douleur, après les attentats, pour tenter vainement de l’apaiser sous des tonnes d’encre noire, là où Catherine Meurisse a tenté de retouver la lumière avec La Légèreté. En vain visiblement: moins d’un an plus tard, le même Luz continuait de « creuser dans ses décombres avec les pelles d’un autre », en adaptant Ô vous, frères humains, récit d’Albert Cohen sur la découverte, enfant et innocent, de l’antisémitisme et du Mal absolu, que Luz transformait ici en un énorme cri d’amour à ses contemporains devenus sourds. La perte de l’innocence traverse à nouveau ce Puppy, pourtant entamé avant les attentats: Luz avait réalisé une BD-reportage sur un cimetière pour animaux en banlieue parisienne, lui donnant l’idée de ce petit chien tout mignon revenu d’entre les morts. Mais la suite peut difficilement se lire sans repenser au 7 janvier 2015: les 150 planches de Puppy ne sont qu’une longue errance dans le monde vaporeux d’humains désormais sans visage ni corps -juste des enveloppes vides- et dans lequel le chiot tente désespérément de s’amuser… avant de retourner dans sa tombe et son cimetière, puisque le monde, qu’il ne comprend pas, ne veut visiblement pas de lui. Fable éminemment douloureuse, Puppy s’impose aussi, et heureusement, comme un formidable exercice de style où Luz laisse à nouveau exploser toute sa vista et ses références graphiques, à mi-chemin entre le Krazy Kat de George Herriman et le Frankenweenie de Tim Burton. Et si son trait noir, à la fois complètement maîtrisé et particulièrement lâché, fait à nouveau des merveilles, on en vient à espérer, pour Luz, qu’il en ait définitivement fini, avec Puppy, avec les syndromes post-traumatiques qui hantent encore chacun de ses dessins.

DE LUZ, ÉDITIONS GLÉNAT, 160 PAGES. ***(*)

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