Critique | Livres

La BD de la semaine: Punk rock & Mobile homes, de Derf Backderf

© Derf Backderf
Laurent Raphaël
Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

ROMAN GRAPHIQUE | Portrait d’un ado iconoclaste et flamboyant converti au punk dans l’Amérique en crise des seventies. Électrique et hilarant!

La BD de la semaine: Punk rock & Mobile homes, de Derf Backderf

Découvert l’an passé à la faveur du dément Mon ami Dahmer, fraîchement auréolé à Angoulême du prix révélation (cocasse pour un auteur né en… 1959), ce récit hallucinant et halluciné de la jeunesse du tueur en série Jeffrey Dahmer (17 meurtres au compteur) rendait sa part d’humanité à cet ado mal-aimé et mal entouré qui allait glisser lentement mais sûrement dans la folie. Un grand livre psychanalytique et rock’n’roll!

Fortes de ce succès critique et public, les éditions Çà et Là n’ont pas traîné pour nous livrer la traduction de son premier roman graphique publié aux Etats-Unis en 2010, Punk rock & Mobile homes, soit deux ans avant son Dahmer. Lui aussi généreusement épicé des souvenirs personnels du propriétaire, ce nouveau mémorial underground plante son décor à Richford, banlieue sinistrée d’Akron, Ohio, en 1979.

Le roi Otto

C’est dans ce désert économique et culturel que vit un sacré personnage, Otto Pizcok, alias le Baron, sorte de geek avant l’heure citant Tolkien à tout bout de champ et décrétant que les pires séries télé sont le meilleur de la culture américaine. Un sens aigu de la contradiction qui lui vaut tantôt les sarcasmes, tantôt l’admiration de ses camarades. Il ne serait d’ailleurs qu’une tête de Turc parmi d’autres s’il n’était charpenté comme une armoire à glace. Volontiers excentrique donc (il collectionne les bruits de pets), ce loser magnifique qui vit sans parents dans un mobile home trahit l’ennui en s’inventant un grand destin et en s’abreuvant de punk rock. Le hasard et une solide dose de culot le placeront aux premières loges du mouvement, une banque désaffectée, sorte de CBGB de province, devenant pour quelques mois le temple de la culture musicale alternative. Y défileront tous les pionniers, Klaus Nomi, Plasmatics et Clash en tête. Otto sera leur guide, leur assistant, il ira même crever les pneus du tour bus des hardeux Journey en compagnie de Lester Bangs et Joe Strummer… Avec gourmandise, Backderf semble donner vie à la version fantasmée d’un idéal de jeunesse qu’il aurait voulu incarner, avec ses qualités comme ses défauts. Les scènes jubilatoires se succèdent, le côté potache tempérant la prétention bricolo de notre Baron. Comme quand il convainc un pote de se présenter nu, un sac de courses sur la tête, à la porte de la fille que ce dernier convoite mais qui l’ignore royalement. Sauf qu’au moment où elle se présente sur le perron, Otto arrache le masque de son ami… Le tout est servi dans un noir et blanc gotlibien, minimal et hyper expressif, qui rend le moindre écart de conduite hilarant et fait suer les scènes de concert.

Sauvage, iconoclaste, régressif, émouvant, cet album branché sur 220 volts est un bras d’honneur au conformisme et à l’esprit étriqué qui euthanasient bien souvent la jeunesse. Doublé d’une déclaration d’amour à la musique qui éveille à un autre possible. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien qu’en intro l’architecte de ce joyeux bordel affiche une playlist qu’il est recommandé d’utiliser comme bande-son pendant la lecture. Pas de bibine pop ici, que du rock à 90 degrés, des Talking Heads à Devo en passant par les Clash, Everest musical pour cet auteur complètement underground et terriblement attachant. Punk’s not dead!

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