Critique | Livres

La BD de la semaine: Moby Dick (Livre premier), de Chabouté

Moby Dick (Livre premier) © Chabouté
Laurent Raphaël
Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

En adaptant Moby Dick, Chabouté s’attaque à une oeuvre puissante, aux confins de la folie. Un matériau idéal pour son trait baigné de gravité.

La BD de la semaine: Moby Dick (Livre premier), de Chabouté

La rencontre était écrite dans les astres. Après avoir exploré les recoins les plus obscurs du huis clos marin dans Terre-Neuvas et fait sonner les grandes orgues de la littérature d’aventure en adaptant une nouvelle de Jack London intitulée Construire un feu, Christophe Chabouté allait forcément un jour ou l’autre croiser la route de Moby Dick.

Parabole aux accents bibliques sur la lutte à couteaux tirés entre le Bien et le Mal, le chef-d’oeuvre d’Herman Melville a suscité quantité d’adaptations depuis 1851, au cinéma, au théâtre mais aussi en BD (par Will Eisner notamment). La plus fameuse, gravée dans la mémoire de générations successives de cinéphiles, étant bien sûr celle qu’en donna John Huston en 1956 avec un film s’enfonçant dans les eaux troubles de la folie maquillée en exorcisme dans le sillage d’un Gregory Peck en capitaine Achab rongé par une rancune démoniaque.

Tout le monde connait l’histoire. Elle tient en deux lignes. Le jeune Ismaël embarque sur un baleinier, le Pequod, pour une campagne de pêche qui doit durer minimum… trois ans. Seul maître à bord après Dieu, et encore, le mystérieux capitaine Achab poursuit surtout une entreprise très personnelle: régler son compte au cachalot blanc qui lui a dévoré une jambe et une partie de la raison, quitte pour cela à y laisser sa peau et celle de son équipage. L’idée vire à l’obsession, donnant rapidement à ce périple des airs de croisade messianique contre l’incarnation du Mal. Au travail harassant de dépeçage et de fonte du lard qui transforme le navire en marmite bouillonnante, à la promiscuité de tous les instants et à la présence ad nauseam de cette immensité liquide s’ajoute donc le poids d’une mission quasi divine orchestrée par un homme qui a laissé tout sens de la réalité et de la mesure à quai.

Vague à l’âme

Fidèle à la lettre du roman dont il épouse la chronologie et le découpage en chapitres courts, Chabouté navigue entre aspirations littéraires, notamment avec des extraits du texte original en ouverture de chaque séquence, et viscéralité pure et dure d’un dessin noir et blanc épousant au plus près les contorsions de l’âme et des flots. Disons-le sans détour, cette alchimie ne fonctionne pas vraiment. L’ancrage littéraire est trop timide pour donner la mesure de ce voyage au bout de l’enfer et tourne du coup à l’artifice un peu vain. Heureusement, ce faux pas est vite balayé par les puissants embruns graphiques d’un trait qui réussit en quelques cases léchées à installer une atmosphère flippante, à célébrer une nature hostile ou à exprimer la peur et la détermination sur les trognes de ces marins soldats tous plus ou moins possédés.

Une fois encore, c’est quand il hisse sur son mât les planches silencieuses, tantôt remplies du bruit et de la fureur des éléments, tantôt portées à la contemplation de la vacuité océanique du monde, que Chabouté file au vent. Il ouvre alors des brèches dans la digue de la condition humaine. Rien que pour ça, on montera à bord du deuxième tome.

  • DE CHABOUTÉ, ÉDITIONS VENTS D’OUEST, 120 PAGES.

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