Critique | Livres

[La BD de la semaine] Idéal standard, de Aude Picault

© Dargaud
Colin Bouchat Journaliste BD

ROMAN GRAPHIQUE | Dans Idéal standard, l’excellente Aude Picault fraye avec le sujet casse-gueule par excellence: le couple. Une leçon de bande dessinée.

Dans les pattes de confrères ou de consoeurs moins expérimentés, l’universel sujet tombe rapidement dans le formatage nauséabond et peut vite devenir insupportable. Mais c’est sans compter sur la maestria du professeur Picault. Voyons plutôt: Claire, infirmière dans le service néonatal d’un hôpital parisien est, à près de 35 ans, toujours célibataire. Elle n’est pas moche pourtant, mais ce n’est pas un canon non plus. Elle accumule les rencontres, qui restent des histoires d’un soir ou de quelques mois maximum. A son âge, le désir de maternité est bien là et elle se surprend souvent à fantasmer une vie future avec son mec du moment et un enfant. Echaudée par sa dernière rupture, la voilà sur ses gardes et c’est presque par hasard qu’elle rencontre Franck.

La preuve par la caricature

[La BD de la semaine] Idéal standard, de Aude Picault

Aude Picault maîtrise parfaitement deux éléments intrinsèques à la bande dessinée: l’art de l’ellipse et celui de la stylisation. Ils permettent tous deux, par des moyens opposés, d’aller à l’essentiel. Avec le premier, l’auteure laisse au lecteur le soin d’imaginer tout ce qu’elle ne dit ou ne dessine pas (il s’approprie ainsi la situation, les personnages et, par extension, l’histoire). Avec le deuxième, elle l’emmène exactement là où elle veut qu’il aille. Par des touches de couleur, par un visage réduit à sa plus simple expression ou un gros plan sur la main d’un prématuré qui agrippe le doigt du père. Pour aborder le sujet qu’elle s’est imposée ici (le couple rappelons-le), Picault choisit la voie du cliché pour enrichir sa chronique sociale, et notre championne relève le défi en évitant le piège de la facilité. Elle réussit par quelques dialogues bien sentis à nous décrire un personnage avec toutes ses contradictions et ses a priori. Bien sûr, les personnages secondaires, comme la mère de Franck ou les collègues et amis de Claire, sont plus caricaturaux. Mais ils permettent d’apporter plusieurs points de vue à l’histoire et d’étoffer ainsi le propos. Ils offrent également des occasions de bien rigoler tout au long de la lecture; rire teinté de jaune ou d’autres nuances selon le degré de similitude avec sa propre vie… Car évidemment, que l’on soit homme ou femme, en couple ou non, avec ou sans progéniture, on ne peut s’empêcher de se regarder le nombril et de se reconnaître dans les mésaventures de ces Homo Sapiens Contemporaneus. Et si la gent masculine en prend plus pour son grade dans la sphère privée, elle se rattrape dans l’univers professionnel. Pour finir, on notera la filiation avec Sempé dans les instantanés que l’auteure fait de la vie de quartier à Paris. Bref, une très belle leçon de bande dessinée qui met, pour ce début 2017, la barre décidément très haut.

DE AUDE PICAULT, ÉDITIONS DARGAUD, 152 PAGES. ****(*)

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